Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
acte. Le troisième, le quatrième et le cinquième n'ont point été lus : rien n'a pu vaincre la timide résistance du citoyen Desroys : ce n'est qu'après les plus vives instances qu'on a pu obtenir qu'il égayât l'assistance par la lecture du monologue de Caton. À l'exception du premier hémistiche, ce morceau est tout entier de la création du citoyen Desroys.
Après un tel coup de massue, un homme ordinaire aurait perdu la tête et fui Paris ; Lyon n'en fit rien. Profitant de la menue notoriété que l'incident lui avait value, il réunit à la hâte quelques pièces fugitives, dont une épître aux journalistes, qu'il mit en vente sans tarder ; c'était aussi le seul moyen pour lui de répondre à Salgues, car tous les journaux demeuraient obstinément sourds aux véhémentes imprécations qu'il leur offrait.
Cette fois, pourtant, on voit par la préface, plus navrante encore qu'incohérente, qu'il avait perdu son égalité d'humeur et que sous les cruelles railleries de Salgues sa raison commençait à s'affaiblir ; il écrivait tristement :
La qualité de poète est belle et honorable quand elle est conférée par la voix publique, mais jusque-là ce n'est qu'une enseigne fatale qui nous attire incessamment le cruel coup de pied de l'âne. Il est facile de supporter les injures de la médiocrité quand on a pour soi les éloges des gens d'esprit, mais avaler le fiel tout pur, voilà ce qui révolte et fait perdre la raison. Si mon extravagance a nui à ma réputation, elle y a servi en même temps : j'ai mieux aimé périr par la folie que de me laisser écraser par le ridicule. Tout n'est pas rose dans la littérature : il faut pourtant convenir que les épines qu'on y rencontre viennent souvent moins de la nature du terrain que de la position de celui qui le cultive. Je sais que les journalistes que je provoque trouveront, s'ils veulent, mille pauvretés et mille contradictions dans mes petits écrits ; mais cela tient au projet insensé et opiniâtre de faire parler la renommée malgré elle. Les journalistes ne s'attaquent pas à mes œuvres, ils défigurent ma personne, et voilà ce qui est infâme et ne devrait pas leur être permis.
Enfin, après avoir ainsi stigmatisé son bourreau, il tenta une dernière fois de l'apitoyer, mais d'une façon si naïve et si ridicule que Salgues ne put se tenir de reprendre la plume à la lecture de semblables vers :
Le public s'en rapporte aux gens qui font la loi,
Il les croit de bon cœur plus habiles que soi.
Mais enfin, tôt ou tard, le bon goût les ramène ;
La justice du temps est lente, mais certaine.
L'auteur modeste, en paix s'abandonne à son sort.
S'il n'est vengé vivant, il sera vengé mort.
Vous riez des moyens que mon orgueil expose ?
Craignez pourtant, messieurs, qu'il n'en soit quelque chose ;
Et quelle honte, ô Ciel ! n'éprouveriez-vous pas
Si mon triomphe était l'effet de mon trépas !
Rendez, pendant que l'heure est encore propice,
À d'immenses travaux une faible justice ;
Régner sur les esprits est un plaisir si doux,
Que les maîtres du monde en sont souvent jaloux :
Richelieu tout-puissant porte envie à Corneille.
Je crains bien pour ma part quelque chance pareille :
Bonaparte est plus grand, j'en conviens avec vous,
Il triompha des rois conjurés contre nous,
Fit jouir de la paix l'Europe et sa patrie,
Mais il n'a pas en vers mis la géométrie.
Devant cette dangereuse exaltation, son cousin Dareste, chez qui il habitait alors, jugea prudent d'écrire à Mme Des Roys et à la jeune Mme de Lamartine. Nous n'avons pas la réponse de la mère, mais on trouve trace dans le Journal intime de toutes les angoisses de la pauvre femme, lorsqu'elle eut sous les yeux les articles de Salgues, qu'un anonyme avait assez méchamment fait parvenir à sa belle-sœur Mlle de Lamartine. Qu'y pouvait-elle ? elle écrivit à son frère une lettre tendre, mais très ferme, en le suppliant de quitter Paris et d'essayer de trouver une situation en province ou à l'étranger.
Celui-ci n'en continua pas moins ses excentricités : le 7 juin 1802, on l'arrêta même à l'Opéra, où il causait un violent scandale en faisant pleuvoir sur la salle tout ce que le libraire n'avait pas vendu d'exemplaires de son Épître aux comédiens ; il fut remis en liberté quatre jours plus tard, mais ce petit incident avait sans doute refroidi son ardeur, puisque nous savons par sa sœur qu'il partit pour l'Angleterre en juillet ; il entra,
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