Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
paraît-il, comme professeur de français chez un prêtre anglais qui lui accordait la modeste allocation annuelle de cinq cents francs, le loyer et la nourriture.
Au bout de dix mois, incapable de se résigner à cette pitoyable existence, il regagna Paris où il végéta encore quelque temps ; puis, aigri, désespéré, la tête perdue, il se tua le 15 mars 1804 à Lagnieux, près de Belley, au retour d'une visite qu'il avait faite à Lyon chez sa sœur Mme de Vaux. Mais le destin qui l'avait poursuivi sa vie durant, lui fut encore impitoyable après sa mort. Les autorités du département de l'Ain s'inquiétèrent de ce bizarre suicide—un coup de fusil dans le ventre—et comme les esprits étaient encore sous le coup de l'attentat de la rue Saint-Nicaise, on n'hésita pas à reconnaître dans le cadavre de Lyon Des Roys, malgré les papiers qu'il avait sur lui, un certain Picot-Limodan, dit Beaumont ou pour le Roi, compromis dans l'affaire de la machine infernale et qui avait réussi à prendre la fuite. Le zèle des fonctionnaires alla même jusqu'à ordonner huit jours après l'exhumation du corps et à perquisitionner chez Mme de Vaux qui ne comprenait rien à l'aventure [Moniteur du 4 avril 1804.]. Quant à Mme de Lamartine, elle ignora toujours la vérité sur la fin de son frère et le crut emporté par une congestion pulmonaire ; mais la pseudo-conspiration arriva jusqu'à elle, et elle écrivait le 29 mars 1804 :
«L'on a imaginé que mon malheureux frère mort était impliqué dans une affaire de conspiration qui a toujours été à cent lieues de son cœur et de ses moyens.
Une ressemblance de nom et son arrivée d'Angleterre ont produit cette erreur. On est allé faire des visites chez ma sœur, l'on a examiné ses papiers ; il n'y avait rien du tout.»
Telle fut l'existence de l'infortuné Lyon Des Roys, poète incompris comme Gilbert, Chatterton et tant d'autres ; elle n'aurait guère valu de s'y arrêter aussi longuement si, comme nous l'avons dit, son exemple n'avait influé plus tard de façon décisive sur l'attitude des Lamartine lorsqu'ils virent le jeune Alphonse tourmenté du même démon qui avait perdu son oncle. On comprend mieux et l'on excuse leur opposition, parfois violente, quand à vingt-cinq ans il partit pour Paris un Saül en poche, frapper à la porte du même Talma qui dix-huit ans auparavant avait refusé le Caton de Lyon Des Roys [Il est curieux de constater que le sujet de Caton, emprunté à la Mort de Caton, d'Addison, tenta également Lamartine à vingt ans : il écrivait en effet le 30 septembre 1810 à Virieu : «Je traduis de l'anglais quelques Nuits d'Young et la superbe tragédie d'Addison the Death of Cato, le tout en vile prose, excepté quelques morceaux qui me séduisent et que je versifie.» (Corresp., I, p. 272.)]. Le souvenir de son frère était encore trop présent à la mémoire de Mme de Lamartine pour qu'elle ne fût pas effrayée de voir son fils séduit par une carrière dont un de ses proches n'avait connu que les déboires.
Quant à son œuvre poétique, elle est aussi mince que médiocre : une tragédie, une comédie, quelques pièces fugitives, un poème sur le tabac, un autre sur la géométrie, deux ou trois fables et quatre épîtres [Voir, à l'Appendice, la bibliographie des œuvres de Lyon Des Roys.] ; c'était insuffisant pour la conquête de Paris qu'il avait rêvée.
Accordons-lui pourtant en tardive réparation que le Dernier des Romains ne dépare pas la série des pauvres tragédies qui encombrèrent la scène française de 1790 à 1815. Inspirés du Caton d'Addison et des meilleurs souvenirs de Shakespeare, ses cinq actes sont correctement rimés et bien conduits. Certains morceaux, comme la mort du héros pourraient même supporter la comparaison avec la Mort de Socrate de son neveu. Tous deux, il est vrai, n'ont fait qu'interpréter Platon, mais le rapprochement est assez curieux pour être noté [L'âme est inaccessible et rien n'agit sur elle ;
Que la mort au méchant soit un objet d'horreur,
L'homme de bien y voit l'aurore du bonheur.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais je ne sais, mes yeux paraissent s'obscurcir,
Mes membres fatigués semblent s'appesantir,
Je ne puis surmonter la langueur où je tombe...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mes enfants, mes amis, approchez, je vous prie.
Quoi ? d'où viennent ces cris ? qu'avez-vous à frémir ?
Qu'est-ce donc, mes amis, ai-je tort de
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