Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
depuis le séjour à Lyon, voulait dire bien des choses : cela signifiait qu'on méprisait le reste du monde et ses banales coutumes, qu'on vivait à sa guise, au gré du moment et sans l'accablant souci du lendemain. Pour être un parfait artiste, encore fallait-il une condition essentielle à ses yeux de vingt ans : l'oisiveté, la délicieuse liberté, loin de la famille antipoétique.
On retrouve le même enthousiasme dans une lettre à Virieu ; elle est datée du 18 novembre, soit de trois jours seulement postérieure à la première ; mais comme on relève entre les deux de notables différences de détails, il devient assez difficile de connaître exactement quel genre de vie mena Lamartine à Rome :
«...Tu sais que je suis à Rome depuis un certain temps, j'y mène la vie d'un ermite, j'erre le matin dans ses vastes solitudes, tout seul le plus souvent ; je visite, un livre dans ma poche, ces belles et désertes galeries des palais romains, le soir je travaille ou vais visiter quelques artistes ;... il y a huit jours que je n'ai mis les pieds au spectacle. Rome me plaît au delà de toute expression : son aspect, ses mœurs, son silence, sa tranquillité me font du bien. Si jamais des malheurs irréparables m'arrivaient, je viendrais me fixer ici. Je crois que c'est le lieu qui convient le mieux à la douleur, à la rêverie, aux chagrins sans espoir.»
C'est le thème mélancolique du Carnet ; mais si les deux lettres témoignent de la même admiration, on voit aussi qu'elles offrent un certain contraste. Laquelle est sincère ? probablement les deux. Comme à Mâcon, Lamartine connut à Rome des revirements soudains, et chaque fois qu'il exprimait un état d'âme sa bonne foi était absolue.
De son côté, Mme de Lamartine recevait des lettres fiévreuses, et elle écrivait le 3 novembre :
«Alphonse m'a écrit une lettre de Rome, dans le premier enthousiasme, sur toutes les beautés qu'il voyait. Il était vraiment enchanté, et il m'a fait partager son bonheur. Si j'étais plus riche, ajoute-t-elle mélancoliquement, je voudrais aller voir cette ville si célèbre, mais je dois à présent renoncer à toutes les satisfactions de ce monde.»
Ainsi, il semble que Lamartine goûta très profondément la splendeur de Rome et s'y plut même au point d'hésiter à partir pour Naples. Il s'y décida pourtant à la fin de novembre.
De tout le voyage d'Italie, c'est assurément le séjour à Naples qui lui laissa les plus fortes impressions. La Correspondance, les Confidences, les Mémoires inédits témoignent de l'inoubliable souvenir qu'il en conserva. Cette fois, les projets d'étude étaient loin, la prose fut abandonnée et la poésie reprit ses droits : odes légères, païennes, latines, pleines de la joie de vivre, qui figurent par des rappels de ton dans des strophes exquises du Passé ; par elles on peut se rendre compte de ce que furent ces premiers poèmes, détruits plus tard parce qu'ils portaient l'empreinte de la vie indolente et facile de Naples qu'il goûta sous ses deux formes les plus habituelles, l'amour et le jeu.
Si l'on parvient à combler les lacunes de la Correspondance, manifestement très importantes pour 1811, il sera alors possible de connaître en détail la vérité sur ce séjour à Naples qui demeure encore très mystérieux. Peut-être l'épisode de Graziella contient-il des morceaux autobiographiques aussi véridiques que Raphaël, peut-être les Mémoires inédits sont-ils exacts sur bien des points ; actuellement, pourtant, nous manquons de contrôle et, connaissant la poétique manière dont Lamartine a souvent traité ses souvenirs, il serait hasardeux ici de les accepter à la lettre.
Mais Graziella, néanmoins, n'est pas qu'une héroïne de roman. Nous savons en effet par une des lettres publiées par M. Doumic, qu'elle exista réellement, bien mieux même, qu'elle porta la première ce nom d'Elvire qui devait plus tard immortaliser Mme Charles [Cf. R. Doumic, Lettres d'Elvire à Lamartine (1 vol., 1905).]. Aujourd'hui, le seul renseignement précis que nous possédions sur la petite cigarière de Naples est celui-ci : En 1816, Lamartine avait fait parvenir à Mme Charles quelques-uns de ses poèmes ; ils faisaient partie, sans doute, de ces deux volumes d'élégies composées de 1811 à 1813, et inspirées, prétend Lamartine, par la mémoire de Graziella désignée sous le nom d'Elvire. Aussitôt, Mme Charles interrogea Virieu sur cette première
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