Les panzers de la mort
de la lisière du bois ne pouvaient pas nous entendre.
La jeune fille vacilla comme si elle allait s’évanouir. Pluto souffla entre ses dents :
– Courage, petite fille. Ne pas montrer à ces salauds que tu as peur. Crie ce que tu veux, ils ne te feront Rien de plus !
Alte nous fit signe, à Stege et à moi : – Vous deux, avec le vieux, Pluto et Porta avec la fille.
– Pourquoi nous ? protesta Stege à voix basse, mais nous avançâmes tout de même. Il fallait bien que ce fût fait. Les autres étaient contents que ce ne fut pas eux et gênés, détournaient leurs visages… d’abord pour ne pas regarder ces malheureux, ensuite pour cacher leur soulagement.
Les poteaux étaient écorchés et rugueux à la hauteur de la poitrine, parce qu’ils avaient servi bien des fois, toujours au nom du peuple allemand. Que pouvait-Il faire, en cette minute, le peuple allemand ? C’était l’heure de la soupe ou de la sieste au bureau.
La corde neuve qui sentait le chanvre était un peu courte. Le vieux sous-officier se fit mince, mais le nœud fut mal fait. Stege pleurait.
– Je tirerai dans les arbres, chuchota-t-il, mon pauvre vieux ! Pas sur toi, je te promets.
La fille se mit soudain à crier. Ce n’était pas un cri ordinaire de femme, mais un hurlement profond, comme animal. Porta bondit en arrière, perdit son fusil, s’essuya les mains à son fond de pantalon, ramassa le fusil et courut en zigzaguant rejoindre le commando à 20 mètres en arrière. Nous aussi, nous nous éloignâmes rapidement des poteaux, comme on fuit devant l’orage.
Un aumônier, avec une passementerie et une Croix à la place de leur maudit aigle, alla vers les prisonniers. La jeune fille s’était tue. Un coup de vent enleva la poussière en spirale. Le prêtre murmura une prière en élevant ses mains vers le ciel limpide, comme pour prendre à témoin de toute la scène, le Dieu invisible.
Le greffier fit deux pas en avant et lut à haute voix :
– Ces exécutions ont été ordonnées pour protéger le peuple et l’État contre les Crimes comme par ces deux personnes, condamnées par le droit civil et militaire selon le paragraphe 32 du Code pénal.
Il recula rapidement. Paust prit le commandement ; Il était livide et regardait, désespéré, le désert de sable.
– A droite, regard en avant. Chargez les fusils.
Culasses et cartouches cliquetèrent.
– Fusils au pied. Épaulez !
Les crosses appuient sur l’épaule, l’œil suit le canon bleu-noir, luisant. Devant nous, Il y a quelque chose de blanc, la cible, le chiffon blanc derrière lequel bat un cœur… un cœur qui bat à se rompre. Stege renifla et chuchota : – Je tire sur une branche.
– Attention !
La jeune fille poussait des gémissements inarticulés. Le peloton vacillait, les cuirs grinçaient. Par derrière, quelqu’un tombait évanoui.
– Feu !
Un roulement bref des douze fusils et un coup sourd dans douze épaules. Deux assassinats étaient consommés pour raison d’État.
Avec des yeux exorbités, nous regardions, hypnotisés, les deux corps qui pendaient en gigotant dans les cordes. Le vieux sous-officier tomba à terre, le nœud s’étant défait, ses jambes s’agitaient par saccades, ses ongles grattaient le sable qui rougissait. Les pigeons affolés tournoyaient en grands cercles. La jeune fille murmura « maman » dans un long râle. Les quatre pionniers du 57 e se hâtèrent vers les poteaux. Le médecin militaire jeta sur les cadavres troués un coup d’œil indifférent et signa les attestations. Comme dans un cauchemar nous entendîmes la voix de Paust :
– En voiture !
Trébuchant comme des gens ivres, nous reprîmes nos places. Stege avait la figure rayée de la trace noire des larmes ; nous étions tous d’un blanc de craie.
Nous dépassâmes, muets, les sentinelles Silencieuses ; le moteur seul ronronnait ; c’était un vieux véhicule qui avait vu bien des choses. Nous atteignîmes les tas de cailloux où travaillaient les prisonniers de guerre.
– Midi vingt, dit Möller d’une voix détimbrée.
– Ce que le temps passe…
– C’est foutu pour les pois ! remit Schwartz.
– Salaud de Westphalien ! hurla Stege, cochon ! Je vais te casser la figure et tu en boufferas des pois, pendant trois semaines… !
Il bondit sur Schwartz tombé à la renverse, et Il le pilonna d’un poing sauvage, tandis que, de sa main libre, Il essayait de l’étrangler. Pluto et Bauer
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