Les pièges du désir
qu’ils projetaient, son avenir. Elle devait agir par elle-même.
Pendant leur trajet en fiacre jusqu’à Drury Lane, elle avait eu le temps de se calmer assez pour se rappeler qu’une femme avait le droit de refuser une demande en mariage. Il suffisait qu’elle dise non.
Forte de cette résolution, elle s’était tournée vers Ariana.
– Je ne vais pas vous accompagner au théâtre, en fin de compte. Je retourne à la maison dire à ma mère que j’ai pris ma décision et que je refuse ce mariage. Jack me soutiendra, je le sais.
Hochant la tête, Ariana était descendue à Drury Lane et avait donné l’ordre au cocher de ramener la jeune fille chez elle.
Nancy se hâta d’ouvrir la porte et pénétra dans le hall. Les voix se précisèrent. Elle se figea pour écouter.
– Ne me racontez pas d’histoires, Tranville ! criait Jack. Ce n’est pas Ullman qui a proposé de subvenir aux besoins de ma mère. C’est vous qui avez proposé cela, pour faciliter vos propres projets de mariage.
Nancy fronça les sourcils. Lord Tranville voulait donc se remarier ?
– J’ai assez perdu de temps à vous expliquer les choses, espèce de blanc bec ! rétorqua Tranville. J’ai fait cela pour votre mère et votre sœur, par estime pour elles.
– Balivernes ! Et si ma sœur refuse Ullman ? Continuerez-vous à entretenir ma mère ?
La voix de Tranville monta encore d’un cran.
– Votre sœur serait folle de refuser. Et si elle le fait, je couperai les vivres à votre mère. Vous pouvez le lui dire !
Nancy en resta bouche bée. Priver sa mère de ressources ? Que deviendrait-elle alors ? Elle n’aurait plus un sou. Mais surtout, elle en aurait le cœur brisé.
– C’est ainsi que vous honorez votre parole ? fit Jack d’une voix cinglante.
– J’ai rempli ma promesse en concluant cet arrangement avec Ullman. Mary aura un revenu assuré, et c’était à cela que je m’étais engagé.
Lord Tranville était en train de lui forcer la main. Il voulait l’obliger à épouser Ullman ! Nancy recula lentement vers la porte d’entrée.
– Oh, je ne regrette pas votre dérobade ! rétorqua Jack. Je dirais même que c’est tant mieux pour ma mère et ma sœur. Dorénavant, c’est moi qui assurerai leur subsistance.
Tranville ricana.
– Vous ? Eh bien, c’est ce qu’on verra. Je n’ai qu’un mot à dire pour vous ruiner, vous savez.
Nancy se boucha les oreilles, horrifiée. Puis elle tourna la poignée de la porte et se glissa dehors par l’entrebâillement. De nouveau dans la rue, elle rabattit le capuchon de sa cape sur sa tête et se dirigea lentement vers le Strand. Ses jambes lui semblaient aussi pesantes que du plomb et jamais elle n’avait eu le cœur aussi lourd. Elle aurait voulu mourir…
Puis elle se reprit, le menton pointé. Allons, c’était ridicule, et surtout puéril. Il était grand temps qu’elle cesse de se comporter en enfant. Cette affreuse journée aurait eu du moins le mérite de faire d’elle une femme, prête à affronter le monde tel qu’il était vraiment.
Lord Tranville n’était pas l’homme qu’elle avait cru. S’il avait aimé sa mère, il ne la laisserait pas sans un sou pour épouser une autre femme.
Sa respiration s’accéléra et elle dut se couvrir la bouche pour lutter contre la nausée qui l’envahissait à cette pensée.
Tranville s’était servi de sa mère pour sa satisfaction charnelle, et lord Ullman voulait l’épouser, elle, pour les mêmes raisons. On n’était pas dans Roméo et Juliette , au nom du ciel ! L’’homme ne l’avait vue qu’une fois et ne pouvait pas l’aimer.
Elle renifla. Ni sa mère ni son frère ne pouvaient la protéger de son destin. C’était lord Tranville qui tirait les ficelles. Il les faisait tous bouger selon son bon plaisir, comme les marionnettes qu’elle avait vues un jour à la foire.
Si elle repoussait Ullman, sa mère serait dévastée, la carrière de Jack ruinée, et eux tous dans la misère.
Pour la première fois de sa vie, le sort de sa famille reposait entre ses mains. Et la conclusion s’imposa brutalement à elle – elle devait accepter cette offre odieuse.
Des larmes roulaient sur ses joues et elle se sentait affreusement seule. Sans même y penser, elle prit la direction de Somerset House. Elle avait tant besoin d’un ami en cet instant !
Il fallait qu’elle voie Michael, qu’elle lui dise à
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