Les pièges du désir

quel point le cours de sa vie avait changé depuis leur insouciante promenade de ce matin à Covent Garden. Mais elle ne se précipitait pas aveuglément vers lui ainsi qu’elle l’avait fait quelques heures plus tôt. Elle voulait seulement l’informer de ce qu’elle allait devoir faire. Car si elle manquait à son devoir, qu’allaient-ils tous devenir ? 
    Elle traversait Southampton Street en pleurant silencieusement quand un homme venant de Covent Garden la frôla et lui empoigna le bras au passage. 
    – Ma parole, mais c’est la petite Nancy Vernon ! s’exclama-t–il en la tournant vers lui. 
    Le visage balafré d’Edwin Tranville se pencha vers elle, une lueur malveillante dans les yeux. Son haleine empestait le whisky. 
    – Et toute seule dans la rue ! 
    Il ricana. 
    – La fille d’une catin… Décidément, c’est mon jour de chance. 
    – Laissez-moi, Edwin ! 
    Loin d’obtempérer, il la poussa contre un mur, dans un renfoncement. 
    – Je veux que la petite grue me donne un baiser ! 
    – Arrêtez ! 
    Elle abattit son talon de toutes ses forces sur le pied de son agresseur, qui la lâcha avec une exclamation de douleur. Puis elle le gifla en plein visage, griffant de sa main dégantée la hideuse cicatrice. 
    Il eut un nouveau cri et voulut la prendre à la gorge. Mais Nancy le repoussa violemment, l’envoyant tituber contre le mur de briques. Puis elle s’enfuit en courant, galvanisée par la peur. Elle se rendait compte à présent combien il était dangereux de déambuler dans les rues toute seule. Edwin criait derrière elle, mais elle ne jeta pas un regard en arrière. Elle parcourut le trajet jusqu’à Somerset House au pas de course. Là, elle se dissimula dans l’ombre d’un porche et s’assura d’un bref coup d’œil qu’il ne l’avait pas suivie. 
    Elle ne le vit nulle part et n’en fut pas surprise. La première réaction d’Edwin, quand quelqu’un se rebiffait, c’était de s’enfuir en criant ! 
    Elle s’appuya contre le porche et tâcha de reprendre sa respiration. Elle tremblait à l’idée de se risquer hors de sa cachette ; mais il fallait bien qu’elle s’y décide si elle ne voulait pas manquer Michael. 
    Elle s’avança. Le soleil était déjà bas et les ombres s’allongeaient sur la ville. Des étudiants commençaient à sortir du bâtiment. Certains lui coulèrent des œillades, la faisant frémir de frayeur. Puis elle aperçut Michael, riant d’un propos que lui avait lancé l’un de ses compagnons. Elle ne pouvait discerner ses yeux à cette distance, mais elle était sûre que ses prunelles bleues pétillaient de gaieté. Enfin, elle était en sécurité ! 
    Elle attendit qu’il fût tout près. 
    – Michael ? 
    Plusieurs regards se tournèrent vers elle, intrigués. On entendit s’élever quelques sifflements admiratifs. 
    – Nancy ? 
    Et se tournant vers les autres : 
    – Du calme, les gars ! C’est une amie. 
    Les rires redoublèrent, mais Nancy s’en moquait bien. Elle avait retrouvé Michael ! 
    – Que faites-vous ici ? s’enquit le jeune homme avec inquiétude. Quelque chose ne va pas ? 
    – Voulez-vous me raccompagner à la maison, Michael ? 
    Elle avait hâte d’être à l’abri de ces regards indiscrets. 
    – Bien sûr ! 
    Il adressa un signe à ses camarades. 
    – A demain, les gars ! 
    – Passez une bonne nuit ! lui rétorqua l’un d’eux, au milieu des rires et des huées. 
    Il se hâta d’entraîner Nancy, mais attendit qu’elle parle la première. Ecartant volontairement de son souvenir l’incident avec Edwin, elle prit une profonde inspiration et se mit en devoir de lui raconter pourquoi elle s’était aventurée seule dans les rues pour le voir. Elle ne lui cacha rien. 
    – Que puis-je faire d’autre, Michael, sinon accepter ce mariage ? 
    Elle reconnut à peine sa voix lorsqu’il lui répondit enfin. 
    – Je ne peux pas vous donner de conseil à ce sujet. 
    Son visage lui parut sévère et peu amical. Il avait l’air si différent tout à coup ! 
    – Voulez-vous vraiment l’épouser ? s’enquit-il après une nouvelle pause. 
    Elle secoua la tête. 
    – Je n’avais jamais pensé à épouser qui que ce soit avant cette histoire. 
    Le mariage, c’était pour elle un rêve lointain. Dans un an ou deux, peut-être… 
    – Mais je crois que je dois l’épouser… pour sauver ma mère. 
    – C’est un homme riche, fut