Les Piliers de la Terre
Jack. »
Alors
qu’elle s’approchait, Jack respira un parfum de lavande et il en fut tout
saisi. Comment une personne pouvait-elle sentir comme les fleurs ?
« Quel
âge as-tu ? demanda-t-elle à Alfred.
— Quatorze
ans. » Alfred lui aussi était impressionné, Jack le sentait. Alfred balbutia :
« Et vous ?
— Quinze
ans. Voulez-vous quelque chose à manger ?
— Oui.
— Alors,
venez avec moi. »
Ils la
suivirent tous dehors. « Mais, dit Alfred, on ne sert pas le déjeuner
avant la messe.
— Les
gens font ce que je leur dis », lança Aliena relevant fièrement la tête.
Elle leur
fit traverser le pont jusqu’à l’enceinte inférieure et leur dit d’attendre
devant la cuisine pendant qu’elle entrait. Martha souffla à Jack :
N’est-ce pas qu’elle est jolie ? » Il hocha la tête sans rien trouver
à dire. Quelques instants plus tard, Aliena ressortit avec un pot de bière et
une miche de pain. Elle rompit le pain et leur en distribua des morceaux, puis
elle fit passer le pot de bière.
Martha
demanda timidement : « Où est ta mère ?
— Ma
mère est morte, répondit vivement Aliena.
— Tu
n’es pas triste, dit Martha.
— Je
l’ai été, mais il y a longtemps. » Du menton, elle désigna le jeune garçon
auprès d’elle. « Richard ne s’en souvient même pas. »
Richard
doit être son frère, se dit Jack. « Ma mère est morte aussi, déclara
Martha, les larmes aux yeux.
— Quand
est-elle morte ? interrogea Aliena.
— La
semaine dernière. »
Aliena ne
semblait guère émue par la peine de Martha, observa Jack ; à moins qu’elle
ne voulait cacher son propre chagrin. « Alors, dit-elle brusquement, qui
est cette femme avec toi ?
— C’est
ma mère à moi », répliqua aussitôt Jack, ravi d’avoir quelque chose à
dire.
Aliena se
tourna vers lui comme si elle le voyait pour la première fois. « Alors, où
est ton père ?
— Je
n’en ai pas », dit-il. Qu’elle le regardât suffisait à le bouleverser.
« Il
est mort aussi ?
— Non,
fit Jack. Je n’ai jamais eu de père. »
Il y eut
un moment de silence, puis Aliena, Richard et Alfred éclatèrent tous de rire.
Jack étonné les regarda sans comprendre ; mais leurs rires ne faisaient
que redoubler jusqu’au moment où Jack se sentit mortifié. Qu’y avait-il de si
drôle à n’avoir jamais eu de père ? Même Martha souriait, oubliant ses
larmes.
Alfred
lança d’un ton railleur : « Alors, d’où sors-tu, si tu n’as pas de
père ?
— De
ma mère, dit Jack, déconcerté. Qu’est-ce que les pères ont à voir
là-dedans ? »
Les rires
redoublèrent. Richard sautillait de joie en braquant sur Jack un doigt moqueur.
Alfred dit à Aliena : « Il ne sait rien du tout : nous l’avons
trouvé dans la forêt. »
Jack
sentit la honte lui brûler les joues. Il avait été si heureux de parler à
Aliena, et voilà maintenant qu’elle le prenait pour un parfait imbécile, un
ignorant de la forêt ; le pire de tout, c’était qu’il ne savait toujours
pas ce qu’il avait dit de risible. Il avait envie de pleurer, et cela
n’arrangeait pas les choses. Il regarda Aliena, son ravissant visage pétillant
d’amusement et, comme il ne pouvait pas le supporter, il jeta son pain par
terre et s’en alla.
Sans se
soucier d’où il allait, il arriva au pied du remblai du château ; il
gravit la pente raide et, arrivé au sommet, il s’assit sur la terre froide,
contemplant le paysage, s’apitoyant sur son sort, haïssant Alfred, Richard, et
même Martha et Aliena. Les princesses n’ont pas de cour, se dit-il.
La cloche
sonna la messe. Les services religieux étaient encore un mystère pour lui.
Parlant une langue qui n’était ni l’anglais ni le français, les prêtres
chantaient et s’adressaient à des statues, à des images et même à des êtres
invisibles. Chaque fois qu’elle le pouvait, la mère de Jack évitait d’assister
aux offices.
En voyant
les habitants du château fort se dirigeant vers la chapelle, Jack grimpa
jusqu’au faîte du mur et s’assit de l’autre côté, à l’abri des regards.
Le château
était entouré de champs plats et nus, que bordait au loin la forêt. Deux
visiteurs matinaux traversaient le plateau en direction du château. Le ciel
était rempli de nuages gris et bas. Jack se demanda s’il n’allait pas neiger.
Deux
autres visiteurs matinaux apparurent. Ces deux-là étaient à cheval.
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