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Les Piliers de la Terre

Les Piliers de la Terre

Titel: Les Piliers de la Terre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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les moines avaient terminé leur
repas. Tom, d’humeur peu sociable, s’assit à l’écart. Un aide cuisinier lui
apporta un pot de bière et des tranches de pain dans une corbeille. Il trempa un
quignon dans la bière pour le ramollir et se mit à manger.
    Alfred est
un grand gaillard débordant d’énergie, soupira Tom, attendri. Ce garçon a un
côté un peu brutal, mais il se calmera avec le temps. En attendant, Tom se
refusait à obliger ses enfants à traiter Jack de façon particulière. Ils en
avaient déjà trop à supporter. Ils avaient perdu leur mère, ils avaient été
contraints de traîner sur les routes, ils avaient failli mourir de faim… Il ne
leur imposerait pas de nouveaux fardeaux. S’il pouvait l’éviter. Ils avaient
droit à un peu d’indulgence. Jack n’aurait qu’à se tenir loin d’Alfred. Il n’en
mourrait pas.
    Une
dispute avec Ellen laissait toujours Tom le cœur lourd. Ils s’étaient querellés
plusieurs fois, en général à propos des enfants, mais sans jamais atteindre à
cette violence. Dès qu’elle prenait cet air dur, hostile, Ellen devenait pour
Tom une étrangère en furie venue troubler sa vie paisible. Il en oubliait toute
leur passion amoureuse.
    Il n’avait
jamais eu d’aussi âpres disputes avec sa première femme. Il lui semblait
qu’Agnès et lui étaient d’accord sur tout ce qui comptait et que, dans le cas
contraire, ils ne se mettaient pas en colère. Voilà comment les choses devaient
être entre un homme et sa femme : Ellen devrait se rendre compte qu’elle
ne pouvait pas exiger d’une famille que tout se passe comme elle l’entendait,
elle.
    Même quand
Ellen l’exaspérait le plus, il ne souhaitait pas la voir partir, mais il
pensait tout de même souvent à Agnès avec regret. Maintenant qu’elle était
morte, elle lui manquait et il se sentait honteux de ne pas lui avoir manifesté
plus d’affection.
    Aux heures
calmes de la journée, quand tous ses ouvriers avaient leurs instructions et
s’affairaient sur le chantier – ce qui permettait à Tom de s’atteler à une
tâche plus spécialisée, comme rebâtir un pan de mur dans le cloître ou réparer
un pilier de la crypte –, il avait parfois des conversations imaginaires avec
Agnès. Il lui parlait surtout de Jonathan, leur bébé. Tom voyait l’enfant
presque chaque jour, quand on le nourrissait à la cuisine, qu’on le promenait
dans le cloître ou qu’on le couchait dans le dortoir des moines. Il semblait
parfaitement heureux et sain et personne, sauf Ellen, ne savait ou même ne se
doutait que Tom s’intéressait particulièrement à ce bébé. Tom parlait aussi à
Agnès d’Alfred, du prieur Philip et même d’Ellen, expliquant ses sentiments à
leur propos, tout comme il l’aurait fait (sauf dans le cas d’Ellen) si Agnès
avait été vivante. Il lui confiait aussi ses plans d’avenir : son espoir
d’être employé pour les années à venir, et son rêve de dessiner et de bâtir
lui-même la nouvelle cathédrale. Dans sa tête, il entendait les réponses et les
questions d’Agnès. Elle était, selon l’heure, contente, encourageante,
fascinée, méfiante ou désapprobatrice. Tantôt il avait l’impression qu’elle
avait raison et tantôt qu’elle avait tort. S’il avait parlé à quiconque de ces
conversations on lui aurait dit qu’il conversait avec un fantôme et il y aurait
eu un grand émoi parmi les prêtres, avec eau bénite et exorcisme ; mais il
savait qu’il n’y avait rien de surnaturel dans ce qui se passait. C’était
simplement qu’il la connaissait si bien qu’il imaginait facilement ce qu’elle
ressentait et ce qu’elle disait dans pratiquement n’importe quelle situation.
    Elle
s’imposait parfois à son esprit à des moments bizarres. Lorsqu’il pelait une
poire avec son couteau pour la petite Martha, il se rappelait comment Agnès se
moquait toujours de lui parce qu’il se donnait le mal d’enlever la pelure d’un
seul ruban. Chaque fois qu’il devait écrire quelque chose, il pensait à elle,
car elle lui avait enseigné tout ce qu’elle avait appris de son père, le
prêtre ; et il se rappelait comment elle lui avait montré à tailler une
plume ou comment épeler caementarius, le mot latin pour « maçon ». En
se lavant le visage le dimanche, il se rappelait comment, quand ils étaient
jeunes, elle lui avait appris que se laver la barbe l’empêcherait d’avoir des
poux et des boutons. Il ne vivait pas un jour

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