Les Piliers de la Terre
d’argent. Elle rappellerait au roi que son père avait fidèlement
servi son prédécesseur, Henry, oncle de Stephen. Elle parlerait sans violence,
humble mais ferme, claire et simple.
Après le
déjeuner, elle demanda à un moine où elle pourrait se laver le visage, requête
assez inhabituelle et qui suscita l’étonnement du moine. Il lui montra une
rigole d’eau claire et froide, non sans lui recommander de rester décente afin
de ne pas troubler l’âme des frères. Aliena haussa les épaules. Ces moines
faisaient le bien, certes, mais comme ils pouvaient parfois se montrer
irritants !
Une fois
rafraîchis et débarrassés de la poussière de la route, Aliena et Richard
quittèrent le prieuré ; par la grand-rue ils montèrent jusqu’au château.
Aliena espérait se gagner l’aide du chambellan responsable, qui ne l’oublierait
pas dans la foule des gens importants. Elle pressa le pas. Un grand calme
régnait encore à l’intérieur du château. Le roi Stephen séjournait-il à
Winchester depuis si longtemps qu’il avait épuisé toutes les requêtes ?
D’ordinaire il habitait la ville durant tout le carême, mais Aliena avait perdu
la notion des dates en vivant avec les seuls Richard et Matthew, sans prêtre.
Un garde
corpulent, avec une barbe grise, se tenait en faction au pied des escaliers du
donjon. Aliena s’apprêtait à passer sans s’arrêter, comme elle en avait
l’habitude quand elle venait avec son père, mais le garde abaissa sa lance
devant elle. Aliena le toisa d’un regard impérieux.
« Où
crois-tu que tu vas, ma fille ? dit le garde.
— Nous
sommes ici pour présenter une requête au roi, dit-elle d’un ton glacial.
Laisse-nous passer.
— Toi ?
ricana le garde. Avec aux pieds une paire de sabots dont ma femme aurait
honte ? Éloigne-toi.
— Garde,
dit Aliena, laisse-moi passer. Chaque citoyen a le droit de présenter une requête
au roi.
— Les
pauvres, généralement, ne sont pas assez stupides pour user de ce droit…
— Nous
ne sommes pas pauvres ! cria Aliena, furieuse. Je suis la fille du comte
de Shiring, mon frère est son fils, alors laisse-nous passer ou tu finiras par
croupir dans un cachot. »
Le garde
perdit un peu de son assurance.
« Tu
ne peux pas présenter ta requête au roi, car il n’est pas ici. Il est à
Westminster. D’ailleurs tu devrais le savoir si tu es celle que tu
prétends. »
Aliena se
pétrifia. « Mais pourquoi à Westminster ? Il devrait passer Pâques
ici ! »
Cette
réflexion prouva au garde qu’en effet, il ne s’agissait pas d’une fille des
rues. « A Pâques, la cour se réunit à Westminster. Peut-être pour ne pas
faire exactement comme le vieux roi. Ce n’est pas interdit, n’est-ce
pas ? »
Il avait
raison, bien sûr. Le désespoir envahit la jeune fille. Elle comptait tellement
sur son idée ! Accablée, découragée, elle baissa la tête. Allons !
C’était un contretemps, pas une défaite. Une requête au roi n’était pas la seule
façon de rétablir leur situation. Son autre projet était de connaître le sort
de son père. Lui saurait quoi faire.
« Alors,
dit-elle au garde, qui y a-t-il ici ? Des fonctionnaires royaux, je
suppose ? Je voudrais voir mon père.
— Tu
trouveras là-haut un clerc et un intendant, répondit le garde. Le comte de
Shiring est ton père, dis-tu ?
— Oui,
fit-elle, le cœur battant. Sais-tu quelque chose à son propos ?
— Je
sais où il est. » Aliena bondit. « Où ? Où est-il ?
— Dans
la prison, ici même, au château. » Si près !
« Où
se trouve la prison ? » demanda-t-elle en maîtrisant mal son
impatience.
Le garde
fit un geste du pouce par-dessus son épaule. « En descendant la colline,
après la chapelle, face à la porte principale. » Maintenant qu’il avait
démontré son autorité, le garde débordait de bonne volonté.
« Il
vaudrait mieux voir le geôlier. Il s’appelle Odo et il a des poches
profondes. »
Aliena ne
comprit pas l’allusion aux poches profondes, mais ce n’était pas le moment d’y
réfléchir. Jusqu’à cet instant, son père se trouvait dans un lieu vague,
lointain, appelé « prison ». Et voilà que tout à coup, il était à
côté d’elle dans ce château. Oubliant le roi, elle ne pensait plus qu’à
retrouver son père si proche, à l’aider. Elle aurait voulu courir dans ses bras,
l’entendre dire : « Tout va bien maintenant. Tout va
s’arranger. »
Le
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