Les Piliers de la Terre
Tom pût commencer à élever un mur, ce serait un peu mieux
que le tableau actuel, mais guère. Ce qu’il aurait fallu à Philip, c’était cent
ouvriers, en pleine activité. Or il n’avait pas de quoi en payer dix.
L’évêque
Henry arrivant un dimanche, personne ne travaillerait, à moins que Philip ne
compte la congrégation des fidèles. Il aurait sa centaine d’ouvriers. Il
s’imagina en train de leur annoncer une nouvelle forme d’office de la
Pentecôte : au lieu de chanter des hymnes et de dire des prières, nous
allons creuser des trous et porter des pierres. Ils seraient stupéfaits. Ils…
Eh bien,
ils coopéreraient peut-être de tout cœur.
Il fronça
les sourcils. Ou bien je suis fou, se dit-il, ou bien j’ai trouvé la solution.
Il
réfléchit encore : à la fin de la messe, je me lève et j’annonce que la
pénitence d’aujourd’hui pour la remise de tous les péchés consiste en une demi-journée
de travail sur le chantier de la cathédrale. Au souper, on distribuera du pain
et de la bière.
Ils le
feront. Bien sûr qu’ils le feront.
Pourquoi
ne pas tester l’idée sur quelqu’un d’autre ? Il pensa à Milius, mais
l’écarta aussitôt. Ils se ressemblaient trop, il fallait un point de vue
différent. Il décida d’en parler à Cuthert le Chenu, le cellérier. Il se drapa
dans son manteau, tira le capuchon pour se protéger le visage de la pluie et
sortit.
Il gagna
en hâte le chantier boueux, salua Tom au passage d’un geste amical et traversa
la cour des cuisines. Cette partie du monastère comprenait maintenant un
poulailler, une étable et une laiterie, car Philip n’aimait pas dépenser de
l’argent pour des denrées que les moines pouvaient se procurer eux-mêmes, comme
les œufs et le beurre.
Dans le
magasin du cellérier, derrière la cuisine, il huma l’air sec et parfumé de
l’odeur des herbes et des épices rassemblées par Cuthbert. Ce dernier était en
train de compter des gousses d’ail. Philip constata, non sans chagrin, que
Cuthbert vieillissait : sa chair semblait se réduire sous la peau.
« Trente-sept,
dit tout haut Cuthbert. Voulez-vous une coupe de vin ?
— Non,
merci. » Le vin dans la journée le rendait paresseux et irritable.
D’ailleurs saint Benoît recommandait aux moines de boire avec modération.
« C’est votre avis que je veux, pas vos victuailles. Venez vous
asseoir. »
Traçant
son chemin entre les caisses et les barils, Cuthbert trébucha sur un sac, se
rattrapa de justesse et vint s’asseoir sur un tabouret à trois pieds devant
Philip. Le magasin n’était plus aussi bien rangé qu’autrefois, observa le
prieur. Une idée le frappa.
« Avez-vous
des problèmes de vue, Cuthbert ?
— Mes
yeux ne sont plus ce qu’ils étaient, mais ça ira », répondit le moine
laconiquement.
Pour ne
pas le blesser, car il semblait susceptible sur ce sujet, Philip n’en dit pas
davantage, mais nota dans sa tête de commencer à former un remplaçant pour le
cellérier. « J’ai reçu une lettre très inquiétante du prieur de
Canterbury », dit-il et il expliqua à Cuthbert le plan de l’évêque
Waleran. Il conclut en disant : « La seule façon, à mon avis, de
donner au chantier l’apparence d’une ruche bourdonnante, c’est d’y mettre la
congrégation au travail. Voyez-vous une objection ?
Cuthbert
ne réfléchit pas longtemps. « Au contraire, c’est une excellente idée,
dit-il aussitôt.
— Ce
n’est pas très orthodoxe, n’est-ce pas ? dit Philip.
— Ça
s’est déjà vu.
— Vraiment ?
dit Philip, surpris et ravi. Où cela ?
— Dans
différents endroits, d’après ce que j’ai entendu dire.
— Et
ça réussit ? fit Philip, tout excité.
— Parfois.
Ça dépend sans doute du temps.
— Comment
s’y prend-on ? Le prêtre fait-il une annonce à la fin de la messe ?
— C’est
plus compliqué, répondit Cuthbert. L’évêque ou le prieur envoient des messagers
aux églises de la paroisse pour annoncer que la remise des péchés peut
s’obtenir en travaillant au chantier.
— Parfait,
acquiesça Philip avec enthousiasme. Nous pourrons réunir un plus grand nombre
de fidèles que d’habitude, attirés par la nouveauté.
— Ou
moins, objecta Cuthbert. Les gens préfèrent généralement donner de l’argent ou
brûler un cierge que de passer toute la journée à barboter dans la boue et à
porter de lourdes pierres.
— Ah !
dit Philip, soudain découragé.
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