Les Piliers de la Terre
passait-il ?
Toutes les
hypothèses défilèrent dans son esprit : une bataille, un incendie, un
accident, une troupe de cavaliers inconnus. Mais jamais, il n’aurait pu
imaginer ce qui l’attendait. D’abord, deux prêtres apparurent portant une
statue de femme sur une planche drapée d’une nappe d’autel brodée. La solennité
de leur attitude donnait à penser que la statue représentait une sainte, ou
même la Vierge. Derrière les prêtres s’avançaient deux personnes. Le prieur en
resta bouche bée, Aliena et Jack !
Philip
considéra Jack avec un mélange de joie et d’exaspération. Le jour où ce garçon
est entré dans cette ville pour la première fois, songea-t-il, la vieille
cathédrale a brûlé. Depuis lors, il n’a pas cessé de produire des situations
étranges. Mais le bonheur de Philip l’emportait largement sur son irritation.
Malgré tous les ennuis que Jack lui avait causés, il avait vécu avec lui bien
des moments intéressants. Le prieur le regarda attentivement. En deux ans
d’absence, il avait vieilli de dix. Son regard las était lourd d’expérience.
Jusqu’où était-il allé ? Et comment Aliena l’avait-elle retrouvé ?
La
procession s’avança jusqu’au milieu de l’église. Philip ne bougeait pas,
attendant les événements. Un frémissement d’excitation animait les fidèles qui
reconnaissaient Jack et Aliena. Soudain s’éleva un murmure respectueux en même
temps qu’une voix disait : « Elle pleure ! »
La
nouvelle courut de bouche en bouche : « Elle pleure ! Elle
pleure ! » Philip observa la statue. En effet : de l’eau coulait
de ses yeux. La mystérieuse lettre de l’archevêque parlant d’une miraculeuse
Madone qui pleure prit enfin son sens. C’était donc cela ! Quant à la
question de savoir si ces pleurs étaient miraculeux, Philip réservait son
jugement. Il distinguait que les yeux semblaient faits de pierre ou peut-être
d’une sorte de cristal, alors que le reste de la statue était en bois :
était-ce l’explication du phénomène ?
Les
prêtres posèrent le support sur le sol de façon que la Madone fît face à la
congrégation. Puis Jack prit la parole.
« La
Madone qui pleure est venue à moi dans un lointain, lointain pays »,
commença-t-il. Philip se résigna à contrecœur à le laisser prendre en main la
situation car il ne voulait pas agir avec précipitation. D’ailleurs, il était
intrigué. « C’est un Sarrasin baptisé qui me l’a offerte »,
poursuivit Jack. Un murmure de surprise parcourut l’assistance : dans les
récits les Sarrasins apparaissaient d’ordinaire comme l’ennemi barbare au
visage sombre, et peu de gens savaient que certains d’entre eux étaient
chrétiens. « Tout d’abord, je me suis demandé pourquoi on me l’avait
donnée. Elle m’a accompagné pendant bien des lieues… » Les fidèles étaient
fascinés. Il est meilleur prédicateur que moi, songea Philip avec amertume.
« Enfin, j’ai commencé à comprendre qu’elle voulait rentrer chez elle.
Mais où était-ce ? L’inspiration me vint enfin. Elle voulait aller à
Kingsbridge. »
Un
brouhaha d’exclamations stupéfaites lui répondit. Philip demeurait sceptique.
Il connaissait la différence entre la façon dont Dieu opérait et celle de Jack.
Or, ce qu’il entendait, cette version des faits, portait l’empreinte de Jack.
Philip
garda le silence. Jack reprit :
« Dès
lors, j’ai pensé : « Où l’emmènerai-je ? Quel autel lui sera
consacré à Kingsbridge ? Dans quelle église trouvera-t-elle sa
place ? » » Son regard qui parcourut l’intérieur simple et
blanchi à la chaux de l’église paroissiale disait clairement : de toute
évidence, cela ne suffira pas. « Et ce fut comme si j’entendais une voix
qui m’ordonnait : « Toi, Jack Jackson, tu vas m’élever un autel et me
bâtir une église. » »
Philip
commençait à deviner où Jack voulait en venir. La Madone serait l’étincelle qui
rallumerait l’enthousiasme des gens pour la cathédrale. La statue ferait ce que
le sermon de Philip sur Job n’avait pas obtenu – ce qui ramena le prieur à la
question précédente : est-ce la volonté de Dieu ou seulement celle de
Jack ?
« Alors
j’ai demandé : « Avec quoi ? Je n’ai pas un sou. » La voix
m’a répondu : « Moi, je fournirai l’argent. » Eh bien, nous
sommes partis avec la bénédiction de l’archevêque Théobald de
Canterbury. »
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