Les Piliers de la Terre
de tout son cœur de ne pas lui avoir cédé aussitôt, de ne pas
l’avoir épousé. Aujourd’hui, envers et contre tout, elle serait sa femme.
Elle
s’allongea pour reposer son dos douloureux. On était au plus fort de l’été,
l’air était brûlant et immobile. Elle avait encore au moins six semaines à
supporter avant l’accouchement. Parfois elle était si lourde qu’elle
s’attendait à des jumeaux. Mais quand Martha, la demi-sœur de Jack, avait collé
l’oreille contre son ventre, elle n’avait entendu qu’un seul battement de cœur.
C’était
Martha qui s’occupait de Tommy ce dimanche après-midi-là pour qu’Aliena et Jack
puissent se retrouver dans les bois, un moment, seuls à parler de leur avenir.
L’archevêque avait refusé l’annulation, parce que, semblait-il, l’évêque
Waleran s’y était opposé. D’après Philip, ils pouvaient refaire une demande
mais, en attendant, ils devaient continuer de vivre séparés. Philip convenait que
c’était injuste, mais reconnaissait là la volonté de Dieu. Aliena rétorquait
qu’il s’agissait surtout de mauvaise volonté.
L’amertume
du regret était un poids aussi pénible à porter que sa grossesse. Elle
regrettait d’avoir fait du mal à Jack, elle regrettait ce qu’elle s’était fait
à elle-même. Elle regrettait même les souffrances infligées au méprisable
Alfred, qui habitait à présent Shiring et ne se montrait jamais à Kingsbridge.
Elle avait vingt-six ans maintenant, sa vie était gâchée, et c’était entièrement
sa faute.
Elle
songea avec nostalgie aux premiers jours passés avec Jack. Quand elle l’avait
rencontré pour la première fois, ce n’était qu’un petit garçon, tellement
différent des autres. Plus tard elle avait continué à le considérer comme un
enfant. Elle qui avait écarté tous les prétendants, ne voyait pas en Jack un
futur mari. Aussi s’était-elle laissé approcher et connaître.
Lorsqu’elle
regardait en arrière, sa vie avant Jack lui semblait vide. Elle avait déployé
une activité surhumaine pour créer son commerce de laine, mais ces jours pleins
d’ardeur lui apparaissaient aujourd’hui sans joie, comme un palais désert ou
une table chargée de plats d’argent et de coupes d’or vides.
Elle
entendit des pas et se redressa, aux aguets. C’était Jack, mince et gracieux,
efflanqué comme un chat. Il s’assit auprès d’elle et l’embrassa doucement sur
la bouche. Il sentait la transpiration et la poussière de pierre. « Il
fait si chaud, dit-il. Baignons-nous dans le torrent. »
La
tentation était irrésistible.
Jack se
dépouilla de ses vêtements. Aliena le dévorait des yeux. Cela faisait des mois
qu’elle n’avait pas vu son corps nu. Il avait une poitrine toute lisse. Il
attendait qu’elle se déshabille à son tour. Intimidée, car il n’avait jamais vu
nu son corps déformé par la grossesse, elle délaça avec lenteur le col de sa
robe de toile, puis la passa par-dessus sa tête. Elle guettait avec inquiétude
l’expression de Jack, craignant qu’il ne déteste son ventre gonflé, mais il ne
manifestait aucune répugnance ; au contraire, une expression de tendresse
se peignit sur son visage. J’aurais dû m’en douter, se dit-elle ; j’aurais
dû savoir qu’il m’aimait vraiment.
D’un
mouvement agile, il s’agenouilla sur le sol devant elle et posa un baiser sur
la peau tendue de son ventre. Elle eut un rire embarrassé.
« Allons
nous baigner », dit-elle. Elle se sentirait moins gênée dans l’eau.
Le bassin
au pied de la cascade avait environ trois pieds de profondeur. Aliena se laissa
glisser dans l’eau, délicieusement fraîche sur sa peau brûlante. Elle frémit de
délice. Jack descendit auprès d’elle. Il n’y avait pas la place pour nager. Il
avança la tête sous la cascade pour laver ses cheveux. Aliena se sentait bien
dans l’eau qui soulageait le poids de son ventre. Elle y plongea la tête.
Lorsqu’elle
reparut à la surface, Jack l’embrassa.
Tout
essoufflée, elle se mit à rire en se frottant les yeux. Il l’embrassa encore.
Elle tendit les bras pour garder son équilibre et sa main se referma sur le
sexe durci de Jack. Elle poussa un petit cri de plaisir.
« Tu
me manques », lui souffla Jack à l’oreille. Sa voix était rauque de désir,
et d’une autre émotion aussi, peut-être de la mélancolie.
Aliena
avait la gorge sèche. « Allons-nous violer notre
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