Les Piliers de la Terre
n’était que son stupide petit frère. Comme il s’approchait pour
l’embrasser, elle le repoussa. « Comment as-tu eu l’audace de voler la
carrière au prieuré ? »
Jack,
voyant venir une querelle, prit les enfants par la main et s’éloigna.
« Toutes
les propriétés sont restituées à ceux qui les possédaient…, répliqua Richard,
piqué au vif.
— Je
t’en prie, interrompit Aliena. Après tout ce que Philip a fait pour toi !
— Cette
carrière m’appartient de droit », dit-il. Il prit sa sœur à part et lui
murmura à l’oreille : « D’ailleurs, tu sais, j’ai besoin de l’argent
que me rapportera la vente des pierres.
— Si
tu ne passais pas ton temps à chasser !
— Mais
que veux-tu que je fasse ?
— Rentabiliser
la terre ! Il y a tant de travail ! Réparer les dégâts causés par la
guerre et la famine, introduire de nouvelles méthodes de culture, déblayer les
bois et assécher les marécages. Voilà comment ta fortune augmentera ! Pas
en volant la carrière que le roi Stephen avait donnée au prieuré de
Kingsbridge.
— Je
n’ai jamais rien pris qui ne soit à moi.
— Dis
plutôt que tu n’as jamais rien fait d’autre ! » s’écria Aliena. Sa
colère l’entraînait malgré elle. « Tu n’as jamais travaillé par toi-même.
Tu as pris mon argent pour acheter tes armes, tu as accepté le poste que t’a
confié Philip, tu as repris le comté quand je te l’ai offert sur un plateau.
Maintenant, tu n’es même pas capable de le gouverner sans voler les biens
d’autrui ! » Elle tourna les talons et s’éloigna.
Richard se
précipita derrière elle, mais quelqu’un l’intercepta pour lui demander de ses
nouvelles. Quand Aliena arriva au pont, elle se retourna et vit son frère en
conversation. Il lui fit signe qu’il voulait lui parler, mais qu’il était
retenu. Elle regarda ses enfants en train de jouer avec leur père au soleil.
Comment pouvait-elle songer à les séparer ?
Elle
franchit le pont et entra dans la ville ; elle éprouvait le besoin d’être
seule.
Elle avait
trouvé une maison à Winchester, vaste, comportant une boutique au
rez-de-chaussée, une salle au premier étage, une chambre à coucher séparée et
un grand entrepôt au fond de la cour pour son tissu. Plus la date de son
déménagement approchait, moins elle en avait envie.
Les rues
de Kingsbridge étaient chaudes et poussiéreuses, l’air plein du bourdonnement
des mouches qui se nourrissaient aux innombrables tas de crottin. Dans la ville
déserte, il n’y avait pas une boutique d’ouverte, les maisons elles-mêmes
étaient closes. Tout le monde était dans la prairie. Elle se rendit à la maison
de Jack. C’était là que les autres viendraient quand les jeux seraient
terminés. La porte de la maison était grande ouverte. Elle fronça les sourcils.
Qui avait oublié de la fermer ? Enfin, il n’y avait pas grand-chose à
voler. Aliena ne gardait pas son argent ici. Depuis des années Philip la
laissait utiliser le coffre du trésor du prieuré. Ce n’étaient donc pas les
voleurs qu’elle craignait, mais plutôt l’envahissement des mouches.
Elle
entra. Il faisait frais et sombre.
Alfred
était assis à la table.
Aliena
poussa un petit cri de frayeur, puis se reprit et demanda :
« Comment
es-tu entré ?
— J’ai
une clé. »
Il la
gardait depuis fort longtemps, nota Aliena. Elle l’examina. Ses larges épaules
osseuses pointaient sous sa tunique et son visage semblait creusé.
« Que
fais-tu ici ? interrogea-t-elle.
— Je
suis venu te voir. »
Elle
s’aperçut qu’elle tremblait, non de peur mais de rage. « Je ne veux pas te
voir ici, ni maintenant ni jamais, lança-t-elle. Tu m’as traitée comme un
chien. Ensuite, quand Jack a pris pitié de toi et t’a engagé, tu as trahi sa
confiance et tu as emmené tous ses artisans à Shiring.
— J’ai
besoin d’argent, annonça-t-il, avec dans la voix un mélange de supplication et
de provocation.
— Travaille.
— Les
travaux de construction ont cessé à Shiring. Je ne peux pas non plus trouver de
travail à Kingsbridge.
— Eh
bien, va-t’en à Londres… ou à Paris ! »
Il
poursuivit avec un entêtement bovin : « Je pensais que tu m’aiderais…
— Il
n’y a rien pour toi ici. Pars.
— Tu
n’as donc pas pitié ? » implora-t-il.
Elle
s’appuya à la table car elle vacillait d’énervement. « Alfred, tu ne
comprends donc pas que je
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