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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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offensives, son indépendance serait mise en question. Le milieu politique relevait déjà la tête. Il suffirait que Millerand abandonnât la Rue Saint-Dominique pour que le vainqueur de la Marne fut placé en situation difficile, plus encore si un ministre galliéniste ou briandiste venait à remplacer le poincariste Millerand.
    Mais le milieu politique, paradoxalement, poussait Joffre en même temps à l’offensive, parce qu’il était lui-même pressé par l’opinion d’en finir avec la guerre et que l’étoile de Joffre, à l’arrière, n’était nullement ternie par les premières tentatives infructueuses de percée du front ennemi. On ignorait les petites attaques meurtrières, les sanglants affrontements de secteurs où étaient engagés les troupes d’élite et, de préférence, les coloniaux. Cette ponction quotidienne des forces vives de l’armée engagées dans des opérations de détail était cachée par la censure. On attendait une reprise de l’offensive qui poussât à son terme l’effort consenti sur la Marne. Millerand incarnait encore, au gouvernement, cette volonté de forcer la victoire, affirmée dans la presse patriote.
    *
    Tout était mis en œuvre pour convaincre les gens de l’arrière que la guerre contre l’Allemagne était une entreprise collective des Alliés, que les Français n’étaient pas seuls. Les publications illustrées montraient les escadrons de Cosaques en route pour les lacs Mazures, et l’impératrice de Russie en infirmière de la Croix-Rouge : plus que jamais l’alliance russe était en vedette.
    Mais on privilégiait dans la représentation iconique de la guerre le roi Albert de Belgique, le roi Pierre de Serbie ou George V d’Angleterre. Le prince de Galles ne cessait de visiter les tranchées du corps expéditionnaire, la reine Élisabeth de Belgique de se rendre dans les hôpitaux du front du Nord au chevet des blessés. La banalisation de la guerre passait par l’utilisation constante des têtes couronnées.
    Les généraux étaient aussi les familiers de la grande presse, Joffre et Foch bras dessus, bras dessous — ainsi que les hommes politiques, Poincaré, Viviani, Millerand et moindrement Briand, rendant des visites au front.
    Le représentation de la guerre dans la presse n’était pas destinée aux combattants du front, mais au « moral de l’arrière ». Les grandes plumes du « bourrage de crâne », tel Maurice Barrès dans L’Écho de Paris, ne manquaient pas de mettre l’accent sur la culpabilité de l’ennemi, en présentant des crimes de guerre — notamment en Belgique — dont les poilus n’avaient pas été témoins. Les débuts de la guerre sous-marine et la déclaration allemande du 4 février créant une « zone de guerre » sur la Manche où « les navires neutres peuvent être en danger » devait aboutir, le 7 mai, au torpillage du transatlantique Lusitania où des civils américains trouveraient la mort. Théodore Roosevelt, ancien président des États-Unis, saisirait l’occasion de déclarer que « l’Allemagne devait être mise au ban des nations ». Mais dès le 22 décembre 1914, jour de la réouverture des Chambres à Paris, le discours des officiels français donnait le ton : « Le monde veut vivre enfin, disait ce jour-là le président Deschanel, l’Europe veut respirer. Les peuples entendent disposer d’eux-mêmes… Ce qui est sûr — j’atteste nos morts — c’est que tous, jusqu’au bout, nous ferons tout notre devoir pour réaliser la pensée de notre race : le droit prime la force ! »
    Ce réarmement moral exprimé par plus de cent journaux quotidiens, sans compter les publications périodiques, défendait en permanence l’idéologie du droit et dénonçait l’agression dont la France était victime, à destination des populations de l’arrière. « Contre le système de provocations et de mesures méthodiques que l’Allemagne appelait la paix, disait dans sa déclaration le chef du gouvernement René Viviani, contre le système de meurtre et de pillage collectifs que l’Allemagne appelle la guerre, contre l’hégémonie insolente d’une caste militaire qui a déchaîné le fléau […] la France émancipatrice et vengeresse, d’un seul élan, s’est dressée. Voilà l’enjeu. Il dépasse notre vie. »
    Les deux cent vingt parlementaires mobilisés étaient-ils prêts à offrir la leur ? Les Maginot, les Driant devaient partir au front. Trois députés,

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