Les Poilus (La France sacrifiée)
l’ancien collaborateur de Gambetta, vieux polytechnicien spécialiste des questions militaires et président de la commission de l’Armée au Sénat, demande des comptes. Les radicaux Léon Bourgeois, Paul Doumer accusent Joffre. Le général de Langle de Cary, rencontré au front par Poincaré, laisse à entendre qu’il l’aurait emporté si Joffre lui avait laissé la libre disposition des réserves. Clemenceau critique le gouvernement avec véhémence. Maginot, blessé au front, rejoint Briand pour accuser Joffre de se tenir « trop loin des réalités de la guerre ».
Dans la presse d’information, de nombreux experts militaires sont encore les défenseurs de l’offensive à tout prix. Ceux-là s’indignent de l’arrêt des opérations en Champagne, tout en condamnant les faiblesses de la production d’armement. Une carte postale tirée à des dizaines de milliers d’exemplaires illustre une prière à Joffre : « Redonnez-nous l’offensive comme vous l’avez donnée à ceux qui les ont enfoncés. [53] » Mais Poincaré, Viviani et Briand restent pessimistes. Les Doumer, les Clemenceau sont de plus en plus agressifs à l’égard des hommes de Chantilly, le nouveau siège du grand état-major. « Les journées se passent tristement, écrit avec mélancolie et résignation le président de la République le 9 mars, sans que nous apparaisse aucune chance de victoire prochaine. » Et de déplorer « notre impuissance militaire ».
Joffre se défend en attaquant. Il assure, dès le 21 mars, qu’il est en mesure de réunir des réserves de huit corps avec la classe 1915 et qu’il reprendra l’offensive « vers le 15 avril ». Il annonce la percée pour l’été, au pire pour l’automne. Il n’a pas besoin des Anglais, auxquels il refuse de céder Dunkerque dont ils ont pourtant besoin pour leurs approvisionnements. Il n’admet pas la perspective d’avoir à affecter des effectifs sur un nouveau front, si l’Italie entre en guerre. Poincaré, pour une fois surpris de l’autorité excessive que s’arroge le commandant en chef, doit le sommer de s’incliner, et défend contre lui « les droits du gouvernement ». Un conflit s’esquisse entre le commandement et le pouvoir. Mais Joffre l’emporte encore en menaçant d’aller se faire tuer devant ses troupes si on ne lui donne pas satisfaction, s’il ne dispose pas, pour le début de mai, de tous ses effectifs. « Nous lui ferons le nouveau crédit qu’il nous demande », affirme Poincaré.
Lord Kitchener vient de faire savoir à Millerand qu’il enverrait en France deux nouvelles divisions en avril, pour permettre à Joffre de dégager les lignes du Nord et d’avoir ses huit corps d’armée de manœuvre, prêtes à l’assaut. Le généralissime est bien obligé d’accepter ce concours essentiel. L’indispensable coopération des deux commandements est enfin posée en préalable de la victoire. La deuxième offensive de 1915 est sur les rails. Rien ne peut plus l’arrêter.
*
Elle est franco-britannique : French a choisi de s’y joindre. Millerand a autorisé Joffre à prélever quatre divisions de formation nouvelle s’ajoutant aux quatre récentes en réserve dans le camp retranché de Paris. Il a sextuplé le nombre de ses batteries lourdes, tout en restant encore très inférieur à l’ennemi sur ce point. Il n’a pas encore obtenu que l’on recense la classe 1917 pour obtenir au plus tôt les effectifs destinés à remplacer les vides prévisibles après la nouvelle hécatombe qui se prépare.
Les attaques se poursuivent, avec des pertes nombreuses, aux Eparges, au bois Brûlé, au Bois-le-Prêtre et dans les Vosges sur l’Hartmannswillerkopf. Le 8 avril, une attaque locale contre la hernie de Saint-Mihiel échoue. Ces mauvais résultats inquiètent Poincaré qui décide de visiter le front. Le 11 avril, il est à la X e armée du général d’Urbal à son QG de Saint-Pol. Les troupes qu’on lui présente sont triées sur le volet. À Frévent, le général Curé se dit optimiste, assure que ses poilus, dont fait partie le 273 e régiment de Coulommiers, celui de l’Ourcq, gardent un moral élevé, n’ayant pas été engagés dans l’affaire de Champagne. Maistre et Pétain commandent les 21 e et 33 e corps autour d’Arras. « Ils sont beaucoup moins rassurés que d’Urbal sur les résultats de l’offensive. » Foch seul reste confiant dans son quartier général de Cassel, sur la plaine de
Weitere Kostenlose Bücher