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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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semblent endormis. Cependant la douleur et l’effroi se lisent sur leurs masques. » On reconnaît sur le champ de bataille les morts en capotes kaki de l’armée d’Afrique. Les divisions de Montauban, d’Alger et de Grenoble sont à bout de forces. Quand on les retire enfin du front, à la fin d’août, elles ont, dit Pétain, la consistance d’un bataillon.
    D’autres divisions entrent en scène, sans répit, celles de Perpignan, celle de Toul. Toute la France défile à Verdun pour reprendre Fleury, souffrir de la soif au ravin de la Mort, tenir les trous d’obus de Vaux-Chapître. Une dernière attaque allemande éclate en septembre. Elle est contenue à grand-peine, avec un nouvel engagement des Africains. « De pauvres Noirs, explique un sergent d’infanterie, blessés depuis plusieurs jours, agonisent lentement. Exposés en plein jour au soleil et aux mouches, ils nous accrochent par la capote pour nous demander à boire. » Personne n’a d’eau à Verdun et les blessés peuvent mourir : le service sanitaire ne peut les secourir tous.
    Un caporal du 120 e de Péronne raconte qu’il était atteint au genou : « Sur les deux mains je me suis traîné [jusqu’au poste de secours], mais là tous étaient débordés. Un major me conseille d’aller par mes propres moyens jusqu’au fort de Souville. » Sur la rive gauche de la Meuse, les blessés sont rassemblés au château d’Esmes et conduits aux majors qui ne peuvent qu’amputer à la chaîne, dans les caves. Les membres « s’entassent en piles, comme un tas d’ordures », dit un chasseur à pied. Les non-opérables, comme ceux du 21 février, sont allongés sur leurs brancards dans la cour d’honneur, sans soins. Les infirmiers chassent autour d’eux les rats avec des bâtons. Quand ils meurent, ils sont entassés dans une grange. Beaucoup d’opérés périssent de gangrène. Ils doivent attendre souvent deux jours ou plus leur évacuation vers un hôpital de l’arrière. Les postes de secours sont des mouroirs. En période d’offensive, les services sont débordés, les brancardiers impuissants. Beaucoup de morts de Verdun sont des blessés qui ont agonisé, faute de secours, dans la misère et le froid.
    *
    En octobre 1916, Joffre avait, une fois de plus, échoué dans une offensive. On enterrait les cadavres dans les champs de Picardie. Les péniches circulaient sur les canaux et les rivières, pleines de blessés à la tête qui ne supportaient pas le voyage en chemin de fer. La seule bataille dont pouvaient se prévaloir généraux et hommes politiques pour entretenir le moral de la nation était désormais Verdun.
    Les poilus de garde étaient moroses, lors de la rencontre du 13 septembre entre Poincaré, Joffre, Pétain, Nivelle et Mangin à Verdun. Foch était absent, il était limogé, portant injustement seul le poids de l’échec sur la Somme. Que préparaient les « huiles », sous prétexte de remettre à la ville martyre la croix de la Légion d’honneur ? Croyaient-ils la bataille terminée ? Les Allemands étaient toujours à Douaumont.
    Justement : il était question de les en chasser, pour avoir un symbole de victoire palpable, visible, exploitable. La reprise de Douaumont était programmée. Elle coûterait beaucoup d’hommes mais rien n’était trop cher pour sortir de la guerre par une paix de victoire. Pour contenir ces minoritaires socialistes, qui, tel Brizon, demandaient à la Chambre de négocier, un succès était nécessaire. Nivelle devait faire la preuve qu’il avait les moyens de gagner.
    En face de lui, Hindenburg et Ludendorff. Falkenhayn a été retiré de l’état-major. Le vieux maréchal, glorieux vainqueur de Tannenberg, encensé et statufié de son vivant dans toutes les villes allemandes, entend affirmer son pouvoir contre les civils émus par les trop lourdes pertes de la Somme, où les Allemands ont vécu l’enfer. Le récit de Ludwig Renn décrit, à partir du 16 septembre, une situation comparable, pour les fantassins allemands, à celle des Français à Verdun six mois plus tôt. Les compagnies reçoivent en renfort des jeunes de dix-huit ans « pâles dans leurs uniformes neufs ». Elles se dissimulent pour échapper aux observateurs des avions français, désormais nombreux en ligne. Des blessés aux bandages sanglants « courent de tous côtés, englués de boue de la tête aux pieds ». Il ne reste dans les compagnies que quelques hommes et plus d’officiers.

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