Les Poilus (La France sacrifiée)
renforts : « Sauvez-vous, les voici ! » Seuls tiennent encore sur la rive gauche, du côté du bois des Caurettes où le régiment des « sauvages » de Bar-le-Duc s’est fait massacrer, les Corses courageux du 173 e qui montent à l’assaut un drapeau tricolore à la main.
Assiégé le 1 er juin, le fort de Vaux tient jusqu’au 7, au prix de souffrances immenses des soldats du commandant Raynal. Une partie de la garnison était composée de jeunes de la classe 16. Ils étaient les plus acharnés à la résistance. L’atmosphère polluée par les gaz, la poussière, la fumée de la poudre était irrespirable. Les lampes s’éteignaient d’elles-mêmes, faute d’oxygène. Les assiégés n’avaient d’autre chance de survie que l’arrivée des renforts.
Le commandant ne correspondait avec l’extérieur que par pigeons voyageurs. Pour avoir la réponse à ses messages, il devait envoyer des courriers qui franchissaient les lignes de nuit, en évitant les Allemands. L’un d’eux réussit l’aller-retour. Malgré cet exploit, qui annonçait l’arrivée de secours, le fort était condamné. Plusieurs actions très coûteuses en hommes sont en vain tentées pour le dégager, dont l’une après la reddition du fort, que les Français ont apprise par un radio allemand.
Cette inutilité de l’effort, combinée avec l’inefficacité de l’artillerie française qui tire trop souvent dans ses propres lignes, suscite la grogne et le découragement des soldats. Ils se plaignent encore de l’inégalité de traitement des unités en première ligne. Certaines partent vers l’arrière après un délai plus court. Pétain estimait l’usure des divisions, en juin, au moment de la grande attaque allemande, non plus à une tous les deux jours mais à deux tous les trois jours. Comment donner des permissions pour soutenir le moral, alors que les Allemands attaquaient sans répit ?
Falkenhayn n’avait désormais d’autre but que d’« user » l’armée française avec vingt divisions contre vingt-quatre, grâce à la supériorité de son artillerie. Les Français répondaient à ce défi en accélérant le roulement de la noria, en multipliant les pertes. Les poilus se rendaient compte qu’ils étaient le seul rempart, sur le terrain bouleversé de Verdun, à la puissance démesurée des attaques allemandes, toujours accompagnées de moyens lourds. Une division entière, la 52 e , d’abord recrutée à Mézières dans les Ardennes, puis recomplétée dans la région parisienne, avait flanché. Un bataillon de chasseurs alpins s’était replié sans ordres, le 10 juin. Nivelle avait réagi avec la plus grande vigueur, interdisant la moindre indulgence. Le bruit courait en juin que deux bataillons du 75 e de Romans et du 140 e s’étaient débandés.
Dans le secteur de Thiaumont, les Ardennais du 347 e régiment avaient été accablés d’obus et de gaz asphyxiants. Le régiment était réduit à 350 hommes. Deux lieutenants, Herduin et Milan, avaient donné un ordre de repli tactique. Ils furent arrêtés, jugés sommairement, condamnés à mort et exécutés. « Ils furent braves devant l’ennemi, disait leur camarade de Saint-Roman et plus braves encore devant la section qui devait les fusiller. La lettre de l’un d’eux à sa femme fait verser des larmes. » Nivelle avait pris l’entière responsabilité de la sanction.
Puisque la 52 e division ne présentait « aucune garantie », il fallait l’exclure des opérations, mais non pas la ramener à l’arrière. On transformerait les poilus en terrassiers de première ligne, chargés de creuser le sol sous une pluie d’obus. Il fallait aussi remplacer la 56 e division du 12 e corps de Limoges en secteur depuis soixante-trois jours et à la limite de la révolte.
La dernière offensive allemande, la plus dure, du 23 juin, ôtait aux poilus toute illusion. Reculer, c’était tout perdre. Les actes d’héroïsme devaient se multiplier contre les 70 000 Feldgrau qui attaquaient après un feu d’enfer. Nivelle exigeait une nouvelle livraison de renforts, le recomplètement immédiat avec les jeunes de la classe 16 dont 76 000 étaient déjà envoyés au front. Des braves défendaient le village de Fleury jusqu’à la mort, d’autres Froideterre.
Le front français désarticulé retrouvait le réflexe de survie du 21 février. Une fois de plus, « ils » ne passeraient pas, et les généraux n’y seraient pour rien. Au bois
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