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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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Les soldats sont sales, ils ont faim.
    Les feux de barrage français accablent les lignes, rendent les mouvements impossibles. Les hommes deviennent fous à force de bruit et d’angoisse. Un lieutenant s’épuise à dégoupiller des grenades, même blessé à la jambe au centre de soins, il continue à lancer. Il faut lui retirer les grenades des mains. Pour entrer en ligne, Ludwig éprouve les plus grandes difficultés. Transporté d’abord en train, puis en camion, il marche longtemps dans la boue avant de trouver les guides qui indiquent la position avec difficulté. À peine arrivé, ayant plusieurs fois glissé dans des fossés où pourrissent les cadavres, il est soumis au bombardement français et trébuche dans les barbelés. Il passe la nuit dans un abri humide et reçoit une blessure au bras dès qu’il sort pour reprendre le bois des Turcs où les Français se sont infiltrés. Il erre longtemps avant de recevoir les premiers soins et doit attendre son tour avant d’être évacué vers l’arrière.
    La situation décrite est en tout point comparable à celle des soldats français de Verdun au plus fort des offensives de mars ou d’avril. Jusqu’au découragement des Feldgrau :  « Nous n’en pouvons plus, disent les hommes tapis dans un tunnel. Nous ne rentrerons plus jamais en Allemagne. Dans quelques jours, on sera prisonniers chez les Français ou morts au fond de quelque tranchée, et les autres enjamberont nos cadavres ! »
    Hindenburg doit relever le moral de son armée. Comme Joffre, il n’a pas le choix : Verdun est le seul champ de bataille où l’état-major puisse réaffirmer la supériorité allemande grâce à l’artillerie. La dernière bataille, celle d’octobre, ne sera pas la moins dure.
    Mais les Français se sont renforcés, et adaptés à la nouvelle forme de guerre. Les sacrifices demandés à l’infanterie sont cette fois accompagnés d’une technique nouvelle de progression par bonds, avec ces spécialistes du champ de bataille que sont les soldats du génie, les grenadiers, les artilleurs de tranchée, les mitrailleurs désormais armés de fusils et non plus seulement de mitrailleuses portables. L’aviation est plus nombreuse, plus offensive, et Mangin a exigé des artilleurs une plus ferme coordination avec les compagnies. Plus d’attaques par « vagues successives déployées », des assauts de professionnels. L’image du poilu immobile dans sa tranchée fait horreur aux officiers de l’état-major. Des groupes mobiles de 155, le seul canon lourd français à tir rapide vraiment efficace, seront enfin engagés dans la grande affaire qui se prépare, la reprise de Douaumont.
    La victoire d’octobre, la reconquête du fort peuvent apparaître comme celle de « l’esprit offensif », le slogan de Nivelle, et permettre de le présenter comme le vainqueur de Verdun. Malgré les réticences de Pétain qui déplore encore l’absence des moyens lourds, l’ardeur des troupes d’assaut, fantassins et chasseurs de la 133 e division Passaga et zouaves de la Coloniale, assure le succès de la reconquête du terrain. C’est bien encore une victoire des combattants, et non des généraux.
    C’est encore le sacrifice des soldats des régiments de Montauban, d’Alger et de Chambéry qui permet aux unités de pointe de l’emporter, dans l’attaque générale du 24 octobre. La division Passaga vient de toute la France, de Roanne et de Mâcon, de Montluçon, de Vannes en Bretagne et de Chartres dans la Beauce. Elle a été constituée en mars, avec des éléments épars à Belfort, pour se battre à Verdun. Les soldats ont marché au combat « sans enthousiasme », dit Robert Laulom, du 321 e de Montluçon, mais avec le sentiment que, cette fois, on ne se moquait pas d’eux : le canon était là. Les 155 avaient défoncé le bois de la Caillette, qui donnait accès au fort. Le colonel Piquart pouvait avancer sans se heurter à des barbelés intacts, jusqu’à la carcasse bétonnée sans trop de pertes. La guerre avait changé.
    Les obus à gaz avaient anesthésié la garnison, des projectiles lourds avaient percé la carapace. Les pièces de 155 accablaient les renforts et jusqu’aux gares de débarquement.
    Enfin l’armée de Verdun, après des mois de géhenne, avait la possibilité de prendre sa revanche. Le régiment colonial du Maroc, avec huit mille hommes tués ou blessés, pouvait se flatter d’avoir enlevé, par une dernière charge, le fort de

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