Les Poilus (La France sacrifiée)
autres combattants alliés, celui qui a consenti le plus d’efforts pour mener à bien cette croisade des peuples libres.
Il est normal que les doughboys (ainsi appelle-t-on les fantassins américains) lui viennent en aide. Il n’est plus seul. Il sera massivement secouru. Le monde uni des peuples démocratiques de l’Atlantique se dresse contre les Empires archaïques et répressifs de l’Europe centrale, l’allemand, l’austro-hongrois, l’ottoman. Les Russes, menés par un gouvernement autocratique, se sont libérés, ce que les Allemands ne tolèrent pas. Ils ne rêvent que d’« étouffer en Russie les libertés naissantes ». Ils sont prêts au besoin à soutenir les bolcheviks, pour empêcher l’éclosion de la République russe. Le gouvernement de la nouvelle Russie, affirme la propagande des bureaux de Pétain, sait parfaitement que l’Allemagne ne songe qu’à dépouiller son pays, à se saisir de ses ressources par une occupation sans pitié d’immenses territoires. Il n’a d’autre ouverture que de poursuivre la guerre aux côtés des Alliés, s’il veut éviter des désordres plus graves, et la domination de l’Allemagne.
Telles sont les bases idéologiques du nouveau discours des officiers : les poilus ne sont plus seuls en ligne avec les Britanniques, dont le secours est trop souvent présenté comme mesuré, prudent, égoïste. La guerre est devenue internationale par l’engagement de l’Amérique et de tous ses associés. Il y aura encore des sacrifices nécessaires, mais la victoire est en vue, elle est certaine. Les Alliés n’ont-ils pas déjà gagné la guerre sous-marine, dont dépendait la capacité de résistance de l’Allemagne accablée par le blocus ?
Pas question de buts de guerre dans le discours du général en chef. Ces questions concernent les politiques et les diplomates. Elles divisent et embrouillent. Il n’est plus question que de bander les efforts pour le « dernier quart d’heure ». On a demandé trop aux poilus pour leur laisser entendre que l’on pourrait signer une paix de négociation, de compromis.
Pétain n’a pas menti : le mardi 26 juin 1917, quand les mutineries commencent seulement à se calmer sur le front, les premiers soldats américains débarquent, vers neuf heures et demie du matin, dans le port de Saint-Nazaire. « L’accueil de la population est très réservé : pas un cri, pas un bravo, pas un drapeau, pas un hourra ! Mais la seule et unique raison de ce manque d’empressement réside dans le fait que la nouvelle de l’arrivée des Américains avait été tenue secrète, et que la population ne s’en trouva prévenue qu’au dernier moment [87] . »
Le 1 er juillet, le général Pershing, devenu chef d’état-major de l’armée quelques mois seulement après sa disgrâce survenue à la fin de l’année 1917, écrit à Joffre pour lui demander de défendre « la discipline et la valeur militaire de ses soldats ». Pas de femmes sur les quais, pas de débits de vin. On doit protéger à tout prix les boys de la vérole et de l’ivresse.
La guerre va changer d’esprit quand les poilus pourront comparer leur sort à celui des combattants d’outre-Atlantique. Non seulement ils touchent des soldes que les officiers français estiment trop élevées, mais tout est mis en œuvre pour qu’ils ne manquent de rien. Des baraquements spéciaux sont construits pour eux par une armée de forestiers et de menuisiers débarqués avec les premiers bulldozers, les scies mécaniques, les matériaux préfabriqués, afin de leur éviter la promiscuité des cantonnements de village. Les services sanitaires sont nombreux et fournis, les médicaments en grande quantité, ainsi que les anesthésiques. La nourriture elle-même vient d’Amérique, elle est tenue en réserve dans des usines frigorifiques construites en France. Le confort et la sécurité des combattants passent au premier plan : les « défenseurs virils du droit » ne doivent manquer de rien.
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Quand ils seront deux millions sur le sol français, comment maintenir les poilus dans leur état de combattants maltraités, mal payés, mal soignés ?
Rien n’avait été négligé pour le confort du soldat américain. L’équipement individuel avait été entièrement renouvelé dès que la recrue avait quitté les camps d’entraînement des États du Sud. Il le serait régulièrement au front. L’état-major avait calculé qu’un seul homme devait pouvoir
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