Les Poilus (La France sacrifiée)
le comte Czernin, ministre des Affaires étrangères de l’empereur-roi, et en Allemagne par Erzberger, avaient sollicité du pape Benoît XV une mission de paix. Le 1 er août, le souverain pontife rendait publique une note générale sur la paix du droit et le désarmement, l’abandon d’une indemnité de guerre, la liberté des mers et le statu quo territorial : une ouverture destinée à séduire le président Wilson, dont dépendait l’avenir de la guerre.
Londres avait envoyé à Rome le diplomate de Salis, pour information sur la question belge. En Allemagne, où l’état-major venait d’imposer une politique de guerre brutale, un mouvement de redressement moral était engagé. L’amiral von Tirpitz se flattait de réunir un million d’adhérents dans le « Parti de la Patrie ». Stresemann et les nationaux-libéraux, parti soutenu par les milieux d’affaires de la Ruhr et de la Saxe, condamnaient en septembre, par cent voix contre huit, la « paix de démission » et estimaient que « l’avenir allemand ne devait pas reposer sur les traités mais sur la puissance et la force ».
Le 29 août, les chefs de l’industrie lourde se disaient prêts à « combattre dix ans » pour garder la Belgique et Briey. Le vice-chancelier Helfferich, représentant de la haute banque, et le nouveau secrétaire d’État aux Affaires étrangères von Kühlmann poussaient le gouvernement à la rigueur. Même le parti catholique du Centre, réuni en congrès à Francfort, affirmait, avec le cardinal-archevêque de Cologne Hartmann et le leader catholique bavarois Hertling, qu’il se refusait à placer l’Allemagne « sous le joug américain du dollar ».
Pourtant Michaelis avait obtenu de Guillaume II la réunion d’un Conseil de la couronne. Le 11 septembre 1917, l’empereur avait posé clairement la question de savoir si l’Allemagne, pour faire la paix avec l’Angleterre, pouvait renoncer à la Belgique. Hindenburg s’y était opposé, affirmant que la place de Liège était essentielle pour la sécurité de l’Allemagne. La sonde de la mission de Salis avait échoué. Elle démontrait l’impossibilité absolue de négocier une paix de conciliation avec l’ennemi.
Dès le début d’octobre, Lloyd George organisait la réponse commune des Alliés. Dans les deux camps, les jusqu’au-boutistes l’avaient emporté. Ludendorff en avait conclu que l’Angleterre affaiblie ne supporterait pas un dernier coup de boutoir. Il lui revenait de réunir les moyens de la victoire et d’abord de rassembler toutes les divisions disponibles à l’est pour les orienter vers l’ouest et réaliser la percée que les Alliés n’avaient jamais pu obtenir.
Les échecs répétés de l’armée britannique de juin à novembre, l’impossibilité de Haig de compléter ou d’accroître ses effectifs le confortaient dans l’idée qu’il fallait attaquer en priorité les Anglais, le plus tôt possible, avant l’arrivée des Américains.
*
Quand les divisions de l’Est seraient-elles disponibles ? Pour les obtenir, l’état-major avait tout fait pour hâter l’agenouillement de la Russie et contribuer à la neutralisation de l’armée du tsar. Dès la nuit du 11 au 12 mars 1917, la mutinerie avait fait son œuvre dans les régiments d’élite Volhynski, Préobrajenski et Litovski, de la Garde impériale tsariste. Toute l’armée devait obéir à la Directive n° 1 du Comité exécutif provisoire qui avait supprimé les grades et aboli la discipline. Des comités de soldats élus prenaient la tête des régiments et fraternisaient avec les Allemands qui avaient reçu des ordres pour les accueillir.
Les Alliés espéraient une reprise en main de cette armée démoralisée par le nouveau régime démocratique et continuaient d’expédier des cargaisons d’armements. Pourtant Pétain avait dû retirer la brigade russe du front et n’avait récupéré que les mille sept cents combattants de la « légion russe » incorporés à la division marocaine. En Orient, Sarrail avait également retiré du front les unités russes pour donner le choix aux soldats : être rapatriés, rester au corps expéditionnaire, ou travailler dans les mines grecques. Un petit nombre avait accepté de rejoindre les rangs et de risquer de perdre leur identité nationale.
Depuis juillet, en effet, il n’y avait plus aucun espoir de restaurer l’armée russe. La dernière offensive menée par les généraux Broussilov
Weitere Kostenlose Bücher