Les Poilus (La France sacrifiée)
et Kornilov venait d’échouer. Ludendorff autorisait alors le passage à travers l’Allemagne de deux cent cinquante bolcheviks venus de Suisse.
Une opération longuement mûrie par les services spéciaux allemands : à la Wilhelmstrasse [88] on avait suivi de près les progrès de la révolution de « février » à Saint-Pétersbourg. Chargé des affaires russes, le comte de Brockdorff-Rantzau [89] avait fait de Copenhague une antenne de la politique allemande en Russie. Depuis l’avance allemande de 1915 dans les pays de l’Est, le recrutement des agents était aisé. Le « diplomate privé » Keskula avait pris contact dès septembre 1915 avec Lénine réfugié en Suisse. Brockdorff-Rantzau avait constamment entretenu des rapports avec les émigrés. « Nous n’aurons la victoire, écrivait-il à Berlin, et sa conséquence qui sera la première place pour l’Allemagne dans le monde, qu’à condition de porter à temps la révolution en Russie et de faire ainsi exploser la coalition de nos adversaires. » Par l’intermédiaire de Parvus Helphand, il faisait parvenir d’importants crédits aux bolchevistes « pour favoriser le mouvement révolutionnaire en Russie ».
L’objectif des tractations avec les bolcheviks était d’empêcher les gouvernements russes, celui du prince Lvov, puis celui de Kerenski, de poursuivre la guerre. Le 23 mars 1917, l’ambassadeur allemand à Berne signalait que Lénine demandait un droit de passage à travers l’Allemagne. Deux jours plus tard, Ludendorff donnait son accord, à condition que les bolchevistes fussent enfermés dans un wagon scellé, que leur voyage restât secret en Allemagne. Le Kaiser, non consulté, avait appris par les journaux que trente-deux bolchevistes — dont Lénine, son épouse Kroupskaïa, Zinoviev et Sokolnikov — avaient gagné Stockholm et franchi en traîneau la frontière de Finlande, après onze ans d’exil, le 15 avril 1917.
Le 27 mars, le soviet de Petrograd avait lancé un vibrant appel pour la paix immédiate. Lénine avait-il les moyens de l’imposer ? En mai, un nouveau transport de deux cent cinquante bolchevistes venus de Suisse venait renforcer son état-major. Mais les Allemands n’avaient pas encore fait leur religion sur l’attitude à tenir à l’égard des Russes. Un document approuvé à Kreuznach en avril 1917 par Guillaume II et son chancelier faisait provisoirement le point sur les buts de guerre à l’est, comme pour la geler. Mais en septembre-octobre le Kaiser se reprenait de passion pour le Drang nach Osten. La victoire sur les dernières armées russes de l’été l’avait conduit jusqu’à Constantinople où il avait installé solennellement le général prussien von Seeckt à la tête de l’armée turque.
Il était de nouveau question de marcher sur Bagdad et sur les pétroles du Moyen-Orient. Ceux de Roumanie seraient acquis après l’armistice de Foczani conclu le 9 décembre 1917, qui mettait fin à toute résistance roumaine [90] . Une victoire contre les armées anglaises de Syrie et de Mésopotamie restait possible. Quant au front de Salonique, il était solidement tenu par les Bulgares encadrés d’artilleurs allemands.
Sur le front italien, la victoire de Caporetto les 27 et 28 octobre 1917 avait ressoudé l’alliance chancelante germano-autrichienne. Ludendorff avait fait la preuve qu’il était en mesure de soutenir son partenaire défaillant. On en profiterait pour exiger de Vienne l’engagement de « poursuivre le combat aussi longtemps qu’il faudra pour que ses buts de guerre soient réalisés ».
Plus que jamais la politique de guerre du tandem Kühlmann-Helfferich était imposée au nouveau chancelier Herling, un Bavarois qui avait remplacé Michaelis démissionnaire le 29 octobre. Vice-chancelier, Helfferich avait pris la tête d’un office spécial chargé d’étudier les conditions de paix à imposer d’abord à l’est. Il plaçait von Stein à la tête du Reichswirtschaftamt créé en août 1917 pour planifier l’économie de guerre. Le gouvernement reprenait en compte les anciennes ambitions vers l’est, puisqu’un espace vide s’offrait. Il commençait par imposer à l’allié autrichien la reconnaissance de ses ambitions sur la Roumanie et les pays baltes : un premier pas vers la conquête de l’espace russe.
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Kerenski avait réagi promptement à la première tentative de subversion bolcheviste. Le coup des 3 et 4 juillet 1917 avait
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