Les Poilus (La France sacrifiée)
proche des lignes anglaises.
Ils étaient tenus en réserve, en cas de coup dur, comme des plombiers en cas de fuite : une troupe d’élite qui avait donné à la Marne, à Verdun, au Chemin des Dames. « Je suis prêt à être alerté d’une minute à l’autre », disait le commandant de Clermont-Tonnerre [102] .
Deux jours plus tard, les zouaves se retrouvaient au campement sur la route de Beuvraignes à Tilloloy, où les avait rencontrés Colin. Ils étaient aussitôt poussés au feu, bataillon par bataillon, comme des pompiers dans un incendie. À Orvillers-Sorel, Clermont-Tonnerre les embusquait sur un terrain inconnu, non repéré, coupé de bois et de chemins creux. Ni tranchées ni abris, des trous recouverts de toiles de tente. L’attaque du 28 mars, à quatre heures de l’après-midi, avait été un désastre. La droite du bataillon, non soutenue par l’artillerie, s’était fait hacher sur les pentes de Conchy-les-Pots, où étaient bien retranchés les Allemands, avec du canon. Le 3 e bataillon s’était emparé de Boulogne-la-Grasse, mais avait abandonné dans la nuit cette position trop en pointe. L’affaire avait coûté très cher.
Pétain demandait aux zouaves, qui avaient perdu tant des leurs pour un gain d’apparence dérisoire, de renouveler leur effort le lendemain 29. Leur secteur était stratégique : s’ils lâchaient, la route de l’Oise était ouverte à l’invasion. Leur résistance montrerait à l’ennemi que la route de Paris était défendue. Le général en chef avait fait renforcer l’artillerie. Les obus français écrasaient déjà les troupes allemandes d’assaut. Mais la division de la Garde prussienne était redoutable, et les zouaves bien affaiblis.
Le 30 mars était le jour de la rencontre décisive, mais la 38 e division d’Alger, celle de Guyot d’Asnières de Salins, était alors en ligne dans son complet : le 4 e de zouaves était renforcé du 8 e de tirailleurs d’un régiment mixte et des marsouins.
À l’aube du 30 mars, les obus et les torpilles pleuvent du ciel bouché sur les coloniaux aux lignes trop étirées : douze cents mètres par bataillon. Après l’artillerie, les mitrailleuses : l’infanterie ennemie ne tarde pas à déboucher « en vagues épaisses et massives » des hauteurs de Conchy-les-Pots. Les zouaves reconnaissent leurs vieux adversaires. Ils serrent les dents, ajustent les Lebel, reculent de bois en bois pour échapper au canon. À huit heures, les Feldgrau se précipitent vers le PC où les officiers se défendent au revolver.
Clermont-Tonnerre se jette contre l’ennemi « comme un sergent » pendant que les obusiers lourds accablent Orvillers-Sorel. Les zouaves se tapissent dans les ruines, dans les chemins creux. Un obus fait disparaître tous les officiers. Seul le colonel se relève. On a perdu Clermont-Tonnerre. Le zouave Bève, de la 9 e compagnie, reconnaît son corps, le premier, à la fin de la journée. Le commandant était tombé, raide mort, près d’un caporal qui allait agoniser toute la nuit. Il devait être enterré, le jour de Pâques, au cimetière d’Estrées-Saint-Denis.
*
La 38 e division n’était pas la seule à s’être sacrifiée. Sans avoir sa réputation de troupe délite, la 62 e avait perdu toutes ses unités. Les unités de Pellé n’étaient plus que des ombres. La 9 e division de Gamelin, un ancien de l’état-major de Joffre, débarquée de nuit devant Guiscard, n’avait pas ses trains de combat. Le 4 e régiment d’élite recruté à Auxerre s’était fait massacrer sans soutien et sans bandes de mitrailleuses.
La 10 e division, entièrement recrutée en Brie, avait parcouru quinze heures de route en camions avant d’attaquer, avec quatre-vingts cartouches par homme. Des régiments de cette unité avaient marché trente kilomètres avant de trouver l’ennemi. Faute de mulets, les hommes tiraient les voiturettes de mitrailleuses à la bricole.
Pétain, avec quelque retard dû à ses inquiétudes pour le front de Champagne, avait chargé Fayolle, dès le 23 mars, d’un groupement de dix-sept divisions bien pourvues d’artillerie lourde et d’aviation, dans le but de défendre la route de Paris. On prévoyait déjà l’usure d’une division toutes les quarante-huit heures. Foch tempêtait : si l’on se préoccupait seulement de protéger la capitale, on laisserait les Anglais se replier sur les ports du Nord. Que pouvaient-ils faire d’autre en
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