Les Poilus (La France sacrifiée)
au courant. Une passerelle est établie sur le pont de chemin de fer de Flize.
Dans la nuit du 9 au 10 novembre, les groupes de fantassins s’avancent sous une pluie glacée. Le 415 e régiment établit une tête de pont qu’il doit à tout prix tenir, pour permettre le passage de la division tout entière. Il faut une heure et demie à chaque compagnie pour franchir le fleuve. Un lieutenant tombe à l’eau, avec quelques poilus. On les repêche aussitôt, transis de froid. Les Allemands sont d’abord surpris et se rendent sans combat. À 7 h 30, tout le régiment est passé : c’est un exploit.
En face de Nouvion, les deux autres régiments de la division se sont heurtés à des tirs de mitrailleuses et ne peuvent s’emparer de Vrigne-sur-Meuse. La position du 415 e , quand le jour se lève, est donc aventurée. Il découvre qu’il a contre lui les troupes d’élite de la Garde surnommés les « hannetons » ( Maikäfer ). Les Allemands sont décidés à tenir le fleuve coûte que coûte. La dernière bataille de la guerre s’annonce sanglante.
Les sept cents poilus du 415 e sont rapidement encerclés, dès le 10 novembre dans la matinée, et tenus en respect par les mitrailleurs de la Garde prussienne. Aucun renfort ne peut les rejoindre. La compagnie Bernard charge courageusement les Allemands à la baïonnette mais cède sous le nombre et la densité des tirs de mitrailleuses.
Le seul secours est celui de l’artillerie : 72 pièces de 75 et 15 canons de 155 qui multiplient les tirs d’interdiction, les barrages. Mais les compagnies tiennent un front trop vaste pour pouvoir s’y cramponner. Le lieutenant Bernard donne l’alerte : « Je suis tourné, dit-il, il ne me reste que l’effectif d’ une section. Les autres sont tués, blessés, ou pris. Plus de mitrailleuses. Je ne puis tenir longtemps où je suis. » Il se bat au corps à corps, perdant ses hommes dans des combats furieux. Les autres sections reculent, dans une contre-attaque générale de l’ennemi engagée dans l’après-midi.
L’artillerie française réagit de nouveau, vivement. Les poilus résistent dans les ruines de la gare de Vrigne-sur-Meuse et sur la voie ferrée. La bataille cesse vers 17 heures, à la nuit tombée, pour reprendre à l’aube du 11 novembre, férocement. L’ordre de Gouraud, commandant de la IV e armée, est en effet de tenir la tête de pont, quelles que soient les pertes. Les six bataillons réduits à cent cinquante hommes reçoivent des munitions grâce à des ravitailleurs qui ont réussi à franchir le fleuve de nuit avec de lourdes caisses.
L’artillerie française n’a pas cessé son tir, elle a criblé les positions ennemies à la cadence d’un coup par minute, toute la nuit, la dernière nuit de guerre. Les sapeurs ont réussi à faire passer des canons sur l’autre rive. Le combat va-t-il reprendre, à l’aube du 11 novembre ?
À 5 h 15, un télégramme de Foch annonce la fin des combats pour 11 heures. Boichut transmet à 7 h 15 en précisant : « Il faut prévenir les troupes, mais en leur disant d’être sur leurs gardes, même après 11 heures, les troupes ennemies qui sont devant nous pouvant ne pas être prévenues à temps, surtout certains tirailleurs ». Le colonel Petitdemange précise : « Les hommes mettront leur mouchoir au bout de leur fusil et agiteront leurs panneaux de jalonnement en criant en chœur et de toutes leurs forces : vive la France ! et chanteront La Marseillaise. On ne fraternisera pas avec l’ennemi. »
Les coureurs portant la nouvelle dans les lignes tombent sous les balles ennemies. Le village de Dom-le-Mesnil, où se terrent les survivants du 415 e , est violemment bombardé. Douze soldats vont mourir : parmi eux, Auguste Joseph Trébuchon, natif de la Lozère, tué par balle un quart d’heure avant la sonnerie de la fin des combats, lancée par le clairon Delalucque. Les soldats morts le 11 novembre seront, sur ordre, déclarés décédés le 10, pour ne pas désespérer les familles. La bataille de la Meuse a coûté la vie à 91 poilus.
À 11 heures, les bugles de la Garde, qui ne compte plus qu’une centaine de combattants, sonnent dans les rangs de l’ennemi. Secteur par secteur, sur toute la ligne du feu, les hommes sortent de leurs trous et s’observent, immobiles. Ils se dévisagent, pétrifiés, silencieux, sans voix. Certains Français chantent La Marseillaise. Les fraternisations sont nombreuses, mais les
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