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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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officiers interviennent de part et d’autre. Pour les Allemands, il est temps de rentrer au pays.
    Mais en ordre, pour ne pas donner l’impression d’une déroute. L’armistice est signé, la paix reste à négocier, et la résistance allemande est un atout : elle permettra d’empêcher la « paix de victoire » et de donner aux Alliés l’assurance que les Allemands ont les moyens de liquider eux-mêmes le bolchevisme, à condition qu’on les laisse faire.
    Les Feldgrau ont vécu dans l’angoisse, le désespoir ou la torpeur les dernières heures de la guerre. Ludwig Renn a gardé le souvenir d’un cauchemar. Chargé d’emmener au front les dernières recrues âgées de dix-huit ans, il n’a pu les convaincre de lutter avec le courage des vieilles troupes, celles qui retardaient, d’un bout à l’autre du front, l’avance de l’ennemi par de continuelles contre-attaques. Les jeunes soldats grognaient et menaçaient de déserter.
    « Si l’on m’envoie au front, disaient-ils, je dirai simplement que je ne marche pas. »
    Ils ont marché cependant, par résignation, par soumission. Ils se sont souvent rendus au premier feu, à l’indignation des officiers tempêtant contre cette « racaille ». En Belgique, les sentinelles fraternisaient avec la population.
    Le dernier départ au front, dans les premiers jours de novembre, avait été pénible. Les colonnes rencontraient des convois d’artillerie galopant vers l’arrière, abandonnant les positions. Pourquoi marcher encore vers des lignes qu’il n’était plus question de tenir ? À quel jeu cruel étaient donc soumis les adolescents de la dernière classe ?
    Pas de vivres : les convois étaient arrêtés à l’arrière. On traquait les porcs et les volailles dans les fermes. Les obus français commençaient à faire des vides dans les rangs, quand on approchait du front. Vaille que vaille, les bleus creusaient leurs trous, pour ne pas mourir. Certains voulaient se rendre à l’ennemi, pour en finir : « Les hommes, expliquent Renn, disent que demain, à midi, il y aura l’armistice, que ce soir à huit heures la position que nous occupons sera évacuée et qu’il n’y a donc pas de raison pour se faire encore estropier. J’ai rabroué la bande de belle façon. »
    Mais les aboiements du Feldwebel sont sans effet. Les hommes n’ont plus d’officiers, ils sont tous morts. Chacun songe à survivre, et mange des pommes de terre de semence crues déterrées dans les champs. Les détenus militaires, libérés par les feldgendarmes, ont pillé les trains de ravitaillement à l’étape. La boulangerie de campagne est aux mains des mutins. La troupe se nourrit en fabriquant du pain immangeable avec des sacs de farine.
    On raconte dans les rangs qu’à Bruxelles les soldats arrachent les pattes d’épaules des officiers et leur crachent au visage. Est-ce la révolution ? Non, la compagnie de Renn est hostile aux « bandes de l’arrière » et se jure de faire justice. Le commandant réunit les officiers pour leur annoncer la fuite de l’empereur. Ils doivent faire élire dans chaque compagnie « trois hommes de confiance ». Des soviets ? On désigne des soldats confirmés, capables d’« affermir davantage la bonne entente entre les officiers et la troupe ».
    Et la marche reprend, harassante, sous la pluie, dans la boue, la longue marche vers le Vaterland. Des mitrailleuses abandonnées sous le porche des églises, des pièces de 77 dans les cimetières. Inutile de s’encombrer des armes lourdes proscrites par l’armistice. On traverse au pas la Belgique flamande, puis la wallonne.
    Renn est à l’arrière-garde de l’armée. Il ne prend un peu de repos qu’à Liège. Il passe la Meuse sur un pont intact, alors que les Français et les Britanniques boivent déjà de la bière dans les tavernes avec les soldats belges. Son bataillon serpente des heures, accablé de fatigue, avant de gagner péniblement les hauteurs de l’autre rive. Mais les hommes restent casqués, le fusil à l’épaule.
    Quand ils passent enfin la frontière allemande, quelques-uns se mettent à chanter pour la dernière fois une scie de tranchée : « Le train dont va la guerre n’est pas un train d’enfer — Pour essuyer tes pleurs, prends du papier de verre. » Les régiments, les divisions se mêlent sur la route trop étroite, précédés par leurs généraux en voiture. Les soldats protestent : les aviateurs goguenards, qui

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