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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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vrai que le général en chef « abaisse de dix ans en vingt-quatre heures la moyenne d’âge des généraux », comme le dit Delteil, plein d’admiration pour son presque compatriote. Ruffey, Lanrezac éliminés, neuf généraux de corps d’armée, trente-trois divisionnaires sur soixante-douze, la moitié des généraux de cavalerie : une purge à chaud sans précédent. Mais pas un seul officier traduit devant un conseil.
    Joffre est conscient de l’injustice. « Le général en chef, écrit-il, n’hésitera pas à frapper de sanctions sévères et à traduire au besoin en conseil de guerre tout chef de corps ou tout chef de détachement qui n’obtiendra pas de sa troupe une discipline exacte et complète. » Il avait été averti, dès le 15 août, aux premières reculades, que le ministère supprimait la consultation du conseil supérieur de la guerre pour mettre d’office à la retraite un officier général.
    Mais il fallait aller plus loin, selon Joffre : « Pour les généraux et officiers qui auraient fait montre non seulement d’insuffisance ou de faiblesse, mais encore d’incapacité ou de lâcheté manifeste devant l’ennemi, je continue à penser que le conseil de guerre s’impose. » Il avait aussitôt rappelé que le gouvernement avait autorisé le commandement à faire exécuter sur-le-champ les sentences de mort, à la seule condition de rendre compte. Joffre prenait encore la peine de signaler que l’article 229 du Code de la justice militaire autorisait les officiers, en cas d’abandon de poste ou de pillage, à frapper leurs subordonnés et à les obliger physiquement à obéir.
    Ces dispositions engendraient les pires abus, dont Genevoix et Marc Bloch ont été les témoins : ce dernier a vu un capitaine injurier ses soldats, « traiter de charognes des hommes qui, l’avant-veille, avaient supporté sans broncher le feu épouvantable des canons et des mitrailleuses ». Le général de Lartigue, dont les soldats traînent les pieds, doit-il réprimer avec les méthodes brutales imposées par l’état-major le découragement de ses soldats du 4 e corps ?
    L’extrême fatigue des anciens décourage les réservistes qui sont venus en renfort. Les troupes du Mans ou de Laval, décimées au combat en Lorraine, dont les officiers sont morts, sont « peu maniables ». On leur a trop demandé. 11 est sage, estime le général, de les laisser au moins quarante-huit heures au repos.
    Les consignes de répression de Joffre sont inapplicables. Même réaction chez Lanrezac et Franchet d’Esperey, dont les soldats combattent sans arrêt depuis Charleroi. Ils demandent vingt-quatre heures de repos, tout en lançant des ordres sévères pour ramener les fuyards : « Un service d’ordre très rigoureux, écrit Franchet à Joffre, sera confié à la prévôté, organisé sur les routes et les ponts. Les faiblesses seront punies immédiatement par les rigueurs de la loi martiale. »
    Conscient des abus possibles, Joffre décide de légaliser la répression. Il demande au gouvernement de rétablir les cours martiales appelées « conseils de guerre spéciaux » dans le décret du 6 septembre. « Ils seront aptes à juger les flagrants délits, aux quartiers généraux des armées et des corps d’armées ; mais aussi dans les divisions, brigades, régiments et unités formant corps de la force d’un bataillon au moins. » Trois juges seront désignés, un officier chargé de l’accusation, un greffier. Pas question d’avocat, ni de pourvoi, ni de recours, une procédure sommaire, mais qui laisse des traces juridiques. Une arme pour éviter la déroute et pour prévenir les actes d’espionnage qui, selon les officiers, se multiplient sur les arrières.
    Le journaliste italien Luigi Barzini raconte [29] qu’il est arrêté sur l’arrière du front, où il recherche des informations pour son journal, par une brigade de la prévôté. Les gendarmes traquent les espions et les déserteurs.
    « Nous devons être très sévères, lui dit un gradé en bicorne en lui rendant ses papiers, car nous sommes entourés d’espions. Nous en avons fusillé encore hier matin, ici, trois, dont une femme. Je suis le bourreau, je préside le conseil de guerre et les choses ne trament pas. »
    En une demi-heure, la sentence est exécutée, sans recours possible, sans autre trace qu’un procès-verbal. On fusille aussi les prisonniers allemands coupables de pillage, quand on a

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