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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Le repas dura cinq heures. « Et voilà, je
suis reine de France », se disait Clémence. Elle ne s’habituait pas à
cette idée. Elle ne s’habituait d’ailleurs à rien. La gloutonnerie des
seigneurs français la stupéfiait. À mesure que circulait le vin, le ton des
voix montait. Seule femme à ce banquet d’hommes de guerre, Clémence voyait tous
les regards converger sur elle, et devinait qu’au bout de la salle les propos
prenaient un tour assez gras.
    De temps à autre, l’un des convives
s’absentait. Mathieu de Trye, le grand chambellan, cria :
    — Le roi notre Sire défend
qu’on pisse dans l’escalier par lequel il passera.
    Comme on était au quatrième service
de six plats chacun, dont un cochon entier présenté sur sa broche et un paon
avec sa roue reconstituée autour du croupion, deux écuyers s’avancèrent portant
un pâté monumental qu’ils déposèrent devant le couple royal. On fendit la
croûte et un renard vivant surgit du pâté, aux exclamations de l’assistance.
Faute d’avoir pu préparer des pièces montées et des châteaux en sucrerie qui
eussent réclamé plusieurs jours de fabrication, les cuisiniers s’étaient
distingués de cette manière.
    Le renard affolé avait sauté dans la
salle où il tournoyait, la queue rousse et touffue au ras des dalles, et ses
beaux yeux brillants, un peu laiteux, tout apeurés.
    — Au goupil ! Au
goupil ! hurlèrent les seigneurs en bondissant de leurs sièges.
    Une chasse s’improvisa, autour des
tables. Ce fut Robert d’Artois qui attrapa l’animal. On vit le géant plonger
vers le sol, et se relever tenant à bout de bras le renard qui couinait,
découvrant des crocs minces sous ses babines noires. Puis Robert referma
lentement les doigts ; les vertèbres craquèrent ; les yeux du renard
devinrent vitreux, et Robert étendit l’animal mort sur la table, devant la
nouvelle reine, comme un hommage.
    Clémence qui maintenait du pouce son
anneau trop grand, demanda si c’était la coutume en France que les femmes de la
parenté n’assistassent point aux mariages. Elle reçut de Louis quelques
explications embarrassées.
    — Mais de toute façon, ma sœur,
vous n’auriez pas eu l’occasion de voir mon épouse, dit le comte de Poitiers.
    — Et pourquoi donc… mon
frère ? demanda Clémence qui éprouvait à la fois de l’intérêt à tout ce
qu’il disait et de la gêne à lui répondre.
    — Parce qu’elle est encore
enfermée au château de Dourdan, dit Philippe de Poitiers.
    Puis se tournant vers le roi :
    — Sire mon frère, en ce jour de
bonheur pour vous, je vous requiers de lever la peine qui fut infligée à Jeanne
mon épouse. Ses erreurs n’étaient point crimes, et elle s’en est repentie.
    Le Hutin, pris de court, ne savait
que décider. Devait-il, devant Clémence, faire montre de mansuétude ou au
contraire de fermeté, deux qualités également royales ? Il chercha des
yeux, pour lui demander conseil, Charles de Valois, mais celui-ci était allé
prendre l’air. Et Robert d’Artois, à l’autre bout de la salle, enseignait à son
cousin Philippe de Valois la manière de saisir un renard sans se faire mordre.
    — Sire mon époux, dit Clémence,
pour l’amour de moi, accordez à votre frère la grâce qu’il sollicite de vous.
Ce jourd’hui est un jour d’accordailles, et je voudrais que toutes les femmes
de votre royaume en eussent partage de joie.
    Elle prenait l’affaire à cœur, avec
une chaleur soudaine ; elle se sentait comme soulagée d’entendre Philippe
de Poitiers parler de sa femme et exprimer le désir qu’elle rentrât au foyer.
    Louis avait fortement dîné, et vidé
sa coupe un peu plus souvent qu’il n’eût convenu. L’instant approchait où il
allait étreindre ce beau corps calme dont il était désormais le maître. Il
n’avait pas l’esprit à peser les conséquences politiques de ce qu’on lui
demandait.
    — Il n’est rien, ma mie, que je
ne veuille faire pour vous plaire, répondit-il. Mon frère, vous pouvez
reprendre Madame Jeanne et la ramener parmi nous quand il vous plaira.
    Charles de la Marche, qui avait
suivi avec attention le dialogue, dit alors :
    — Et pour Blanche, Sire mon
frère, que décidez-vous ? M’autoriserez-vous…
    — Pour Blanche, jamais !
coupa le roi.
    — Seulement d’aller la visiter
à Château-Gaillard, et la faire mettre en un couvent où elle aura un traitement
moins dur…
    — Jamais, répéta le Hutin

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