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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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les
comptes.
    Tolomei était soucieux L’œil gauche
fermé, la lippe un peu pendante, il se plaignait des événements, des taxes sur
les ventes, du contrôle des marchés et des dernières mesures touchant les
Lombards. Cela ressemblait fort aux ordonnances du roi Philippe.
    — Pourquoi nous avoir assuré
que tout allait changer…
    Bouville se sépara de Tolomei pour
rejoindre le cortège nuptial.
    Ce fut Charles de Valois qui
conduisit la fiancée à l’autel. Quant à Louis X, il eut à marcher seul.
Aucune femme de la famille n’était auprès de lui pour figurer l’accompagnement
maternel. Sa grand-tante Agnès de France, fille de Saint Louis et duchesse
douairière de Bourgogne, avait refusé de venir, et l’on comprenait assez
pourquoi : elle était la mère de Marguerite. La comtesse Mahaut avait
prétexté un empêchement de dernière heure causé par l’agitation en
Artois ; elle rejoindrait Reims directement, pour le sacre où ses
fonctions de pair lui faisaient obligation de paraître. Les comtesses de Valois
et d’Évreux qui, elles, étaient attendues, n’arrivèrent pas ; on
apprendrait qu’une erreur d’itinéraire les avait déroutées vers une chapelle
Saint-Lyé, distante d’une dizaine de lieues et située dans les parages de
Reims…
    Monseigneur Jean d’Auxois, mitre en
tête, officiait. Tout le temps que dura la messe, Clémence se reprocha de ne
pas parvenir à se recueillir autant qu’elle l’eût souhaité. Elle s’efforçait
d’élever sa pensée vers le ciel, suppliant Dieu de lui accorder, en toutes les
heures de la vie, les vertus d’épouse, les qualités de souveraine, et les
bénédictions de la maternité ; mais ses yeux, malgré elle, s’abaissaient
sur l’homme qu’elle entendait respirer à son côté, dont elle connaissait à
peine les traits, et dont le soir même elle allait partager le lit.
    Il avait, chaque fois qu’il
s’agenouillait, une toux brève qui semblait un tic ; la ride profonde qui
cernait son menton trop court surprenait, chez un être encore si jeune. La
bouche était mince, abaissée aux coins, les cheveux longs et plats, d’une
couleur imprécise. Et lorsque cet homme se tournait vers elle, elle se sentait
gênée par le regard de ses gros yeux pâles. Elle s’étonnait de ne pas retrouver
l’état de bonheur sans mesure et sans mélange qui l’habitait au départ de
Naples.
    « Mon Dieu, empêchez-moi d’être
ingrate aux bienfaits dont vous me chargez. »
    Mais l’on ne commande pas en tout
instant à son esprit ; et Clémence se surprit à penser que si on lui avait
donné à choisir entre les trois princes de France, elle eût préféré le comte de
Poitiers. Un grand effroi la saisit et elle faillit s’écrier : « Non,
je ne veux pas, je ne suis pas digne ! » À ce moment, elle s’entendit
répondre : « Oui », d’une voix qui ne lui parut pas la sienne, à
l’évêque qui lui demandait si elle voulait prendre Louis, roi de France et de
Navarre, pour époux.
    Le premier coup de tonnerre de
l’orage prévu éclata comme on passait au doigt de Clémence un anneau trop
large ; les assistants s’entre-regardèrent et plus d’un se signa.
    Quand le cortège sortit, les paysans
attendaient, groupés devant l’église, en chemise de toile et les jambes
entourées de chiffons. Clémence murmura :
    — Ne va-t-on pas leur faire
l’aumône ?
    Elle avait pensé tout haut, et l’on
remarqua que sa première parole de reine avait été une parole de bonté.
    Pour lui complaire, Louis X
ordonna à son chambellan de lancer quelques poignées de monnaie. Les paysans
aussitôt se jetèrent au sol, et le spectacle offert à la nouvelle mariée fut
celui d’une bataille sauvage sur les fleurs de la jonchée. On entendait des
déchirures d’étoffe, des grognements sourds comme en poussent les truies, et
des chocs de crânes. Les barons s’amusaient fort à contempler cette mêlée. L’un
des vilains, plus large et plus lourd que les autres, écrasait de son pied les
mains qui avaient attrapé une piécette et les forçait à s’ouvrir.
    — Voilà un goujat qui me paraît
savoir y faire, dit Robert d’Artois en riant. À qui est-il ? Je l’achète
volontiers.
    Et Clémence vit avec déplaisir que
Louis, lui aussi, riait.
    « Ce n’est pas ainsi qu’on
donne, pensa-t-elle, je lui apprendrai. »
    La pluie se mit à tomber.
    Les tables avaient été dressées dans
la plus grande salle du château.

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