Les Poisons de la couronne
Pourquoi Bapaume ? Parce que Bapaume était à elle,
qu’elle y entretenait une garnison… Elle insistait sur Bapaume. Et puis, le
jour convenu, elle ne venait pas à Bapaume, car elle avait dû se rendre à Reims
pour le sacre… Le sacre passé, elle oubliait l’entrevue promise. Mais elle
viendrait bientôt en Artois ; qu’on prît patience ; les enquêtes
suivaient leur cours… c’est-à-dire que des sergents s’employaient à récolter,
sous menace de bâton ou de prison, des témoignages favorables à
l’administration du chancelier Thierry d’Hirson.
Le sang monta bientôt à la tête des
barons ; ils entrèrent en rébellion ouverte et firent défense à Thierry de
reparaître en Artois, le donnant pour mort s’il s’y montrait. Puis, ils
mandèrent devant eux un autre Hirson, Denis, le trésorier, qui eut la sottise
de se rendre à leur convocation ; lui mettant une épée sur la gorge, ils
l’obligèrent à renier son frère par serment.
Les choses prenaient si dangereuse
tournure que Louis X résolut d’aller lui-même à Arras pour rétablir
l’ordre. Il y vint, mais sans résultat. Que pouvait-il, alors qu’ayant dissous
son armée la seule bannière restée sur pied était justement celle qui se
révoltait ?
Le 19 septembre, les gens de Mahaut
crurent bon d’arrêter par surprise les sires de Souastre et de Caumont, qu’on
désignait comme les meneurs, et de les jeter en prison. Robert d’Artois
aussitôt courut plaider leur cause auprès du roi.
— Sire mon cousin, dit-il, je
ne suis point concerné par cette affaire ; elle regarde ma tante Mahaut,
puisque c’est elle qui gouverne le comté, et avec le beau résultat que l’on
voit. Mais si l’on maintient en geôle Souastre et Caumont, je vous dis que ce
sera demain la guerre en Artois. Je ne vous donne cet avis que pour le bien du
royaume.
Le comte de Poitiers tirait de
l’autre côté.
— Il est peut-être malhabile
d’avoir arrêté ces deux seigneurs, mais ce serait maladresse plus grave que de
les faire relâcher à présent. Vous allez encourager par là toute rébellion dans
le royaume ; c’est votre autorité, mon frère, que vous laissez atteindre.
Charles de Valois s’emporta.
— C’est assez, mon neveu,
s’écria-t-il en s’adressant à Philippe de Poitiers, que de vous avoir rendu
votre femme qui justement sort de Dourdan ces jours-ci. N’allez pas déjà
plaider la cause de sa mère ! Il ne faut point demander au roi d’ouvrir
les prisons pour qui vous plaît, et de les fermer sur qui vous déplaît.
— Je ne vois point de
semblance, mon oncle, répondit Philippe.
— Moi, je la vois ; et
l’on croirait tout juste que la comtesse Mahaut dirige vos démarches.
Finalement, le Hutin prescrivit à
Mahaut de faire libérer les deux seigneurs. Dans le clan de la comtesse, un
mauvais jeu de mots commença de circuler : « Notre Sire Louis pour
l’heure est tout à la clémence. »
Souastre et Caumont, deux gaillards
qui se complétaient à merveille, l’un étant fort en gueule et l’autre rude aux
coups, sortirent de leur semaine de détention avec l’auréole du martyre. Le 26
septembre, ils rassemblaient à Saint-Pol tous leurs partisans, qui
s’intitulaient maintenant « les alliés ». Souastre parla d’abondance,
et la grossièreté de son langage autant que la violence de ses propositions
emportèrent l’approbation de l’auditoire. Il fallait refuser de payer les
impôts, et pendre tous les prévôts, receveurs, sergents ou représentants de la
comtesse.
Le roi avait dépêché deux conseillers,
Guillaume Flotte et Guillaume Paumier, pour prêcher l’apaisement et négocier
une nouvelle entrevue, à Compiègne cette fois. Les alliés acceptèrent le
principe de l’entrevue, mais à peine les deux Guillaume avaient-ils quitté la
séance qu’un émissaire de Robert d’Artois arriva, tout suant et essoufflé
d’avoir trop longtemps galopé. Il portait aux barons un simple
renseignement : la comtesse Mahaut, entourant son déplacement de beaucoup
de secret, arrivait elle-même en Artois ; elle serait le lendemain au
manoir de Vitz, chez Denis d’Hirson.
Quand Jean de Fiennes eut rendu
publique cette nouvelle, Souastre s’écria :
— Nous savons désormais, mes
sires, ce que nous avons à faire.
Les routes d’Artois résonnèrent,
cette nuit-là, d’un bruit de chevauchées et de cliquetis d’armes.
II
JEANNE, COMTESSE DE POITIERS
Le grand
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