Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
d’un
ton qui interdisait toute insistance.
    Si les ressentiments de Louis à
l’égard de Jeanne de Bourgogne, pour la part qu’elle avait eue dans ses
infortunes conjugales, se trouvaient assez atténués par le fait même du
remariage, en revanche grande était sa terreur que Blanche, sortie de
forteresse et de l’isolement absolu, pût divulguer les circonstances de la mort
de Marguerite. Cette crainte inspira au Hutin, pour une fois, une décision
rapide et sans appel.
    Clémence, jugeant sage de s’en tenir
à sa première victoire, n’osa pas intervenir.
    — N’aurai-je donc plus jamais
le droit d’avoir épouse ? reprit Charles.
    — Laissez faire le sort, mon
frère, répondit Louis.
    Le beau visage, mais assez mou, de
Charles de la Marche, prit une expression boudeuse et butée.
    — Il semble que le sort
favorise plus Philippe que moi.
    Et dès cet instant, Charles de la
Marche conçut du ressentiment non contre son frère le roi, mais contre son
frère Poitiers.
    À l’issue de cette journée
épuisante, la jeune reine était si lasse que les événements de la nuit se
déroulèrent pour elle comme dans une autre vie. Elle n’éprouva ni effroi, ni
souffrance excessive, ni particulière félicité. Elle fut simplement soumise,
admettant que les choses devaient se passer ainsi. Elle entendit, avant de
sombrer dans le sommeil, des mots balbutiés qui lui laissèrent espérer que son
époux l’appréciait. Si elle avait été moins novice en ce domaine, elle eût
compris qu’elle disposait, pour un temps au moins, d’un grand pouvoir sur
Louis X.
    Celui-ci, en effet, s’était
émerveillé de rencontrer chez cette fille de roi une passivité consentante
qu’il n’avait jusqu’alors connue que chez des servantes. L’angoisse des défaillances
qui le saisissaient dans le lit de Marguerite avait disparu. Peut-être, après
tout, n’était-il pas fait pour les brunes. À plusieurs reprises, il se trouva
triomphant de ce beau corps qui luisait faiblement, comme nacré sous la petite
lampe à huile pendue au ciel de lit, et dont son désir pouvait disposer tout à
son gré. Jamais il n’avait accompli pareil exploit.
    Quand il sortit de la chambre, tard
dans la matinée, la tête lui tournait un peu, mais il la portait haut, et plus
fièrement que s’il eût vaincu les Flamands ; sa nuit de noces avait effacé
ses déboires militaires.
    Pour la première fois, Louis Hutin
fut capable d’affronter sans gêne les plaisanteries gaillardes de son cousin
d’Artois qui passait pour le mâle le mieux pourvu et le plus endurant de la
cour.
    Puis, environ midi, on se remit en
route vers le nord. Clémence se retourna pour emporter une dernière image de ce
château où elle était devenue femme et reine, et dont elle ne parviendrait
jamais à se rappeler les dimensions exactes.
    Deux jours plus tard, on arrivait à
Reims. Les habitants n’avaient pas vu de sacre depuis trente ans, c’est-à-dire
que pour la moitié au moins de la population, le spectacle était neuf. Des
officiers royaux, affairés, couraient en compagnie des échevins de la Maison de
Ville à l’archevêché. Sur les places s’étaient installées toutes sortes de
marchands, jongleurs et montreurs de bêtes, comme pour une foire. De grands
barons, de hauts prélats, arrivés des quatre coins de France, passaient avec
leurs escortes, à la recherche de leur logis. Paysans, bourgeois et petits
seigneurs affluaient de la contrée avoisinante, grossissant une foule que les
sergents tâchaient à contenir sur l’itinéraire pavoisé du cortège royal.
    Les Rémois ne pouvaient pas imaginer
qu’ils auraient l’occasion de contempler à nouveau cette grande cavalcade, et
d’en payer les frais, plusieurs fois encore, dans un proche avenir.
    Le roi qui ce jour-là franchissait
le portail de la cathédrale de Reims était accompagné des trois successeurs que
lui donnerait l’Histoire. En effet, derrière Louis X chevauchaient ses
frères Philippe et Charles, ainsi que son cousin Philippe de Valois. Avant
quatorze ans, la couronne se serait posée sur leurs trois têtes.
     

DEUXIÈME PARTIE

APRÈS LA FLANDRE, L’ARTOIS…
     

I

LES ALLIÉS
    De toutes les fonctions humaines,
celle qui consiste à gouverner ses semblables, encore que la plus enviée, est
la plus décevante, car elle n’a jamais de fin, et ne permet à l’esprit aucun
repos. Le boulanger qui a sorti sa fournée, le bûcheron devant son chêne
abattu, le

Weitere Kostenlose Bücher