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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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char de voyage, tout
sculpté, peint et doré, glissait entre les arbres. Il était si long qu’il
fallait parfois s’y prendre en deux temps pour lui faire franchir les
tournants, et les hommes d’escorte mettaient pied à terre afin de le pousser
dans les raidillons.
    Bien que l’énorme caisse de chêne
fût posée à même les essieux, on ne sentait pas trop à l’intérieur les cahots
du chemin, tant il y avait de coussins et de tapis accumulés. Six femmes y
étaient installées un peu comme dans une chambre, bavardant, jouant aux
osselets ou aux devinettes. On entendait bruisser les basses branches contre le
cuir du toit.
    Jeanne de Poitiers écarta le rideau
peint des fleurs de lis et des trois châteaux d’or d’Artois.
    — Où sommes-nous ?
demanda-t-elle.
    — Nous longeons l’Authie,
Madame… répondit Béatrice d’Hirson. Nous venons de traverser Auxi-le-Château.
Avant une heure, nous serons à Vitz, chez mon oncle Denis… Il va être bien aise
de vous revoir. Et peut-être Madame Mahaut y sera-t-elle déjà, avec Monseigneur
votre époux.
    Jeanne de Poitiers regardait le
paysage, les arbres encore verts, les prés où les paysans fauchaient un regain
rare, sous un ciel ensoleillé. Comme il arrive souvent après les étés mouillés,
le temps, en cette fin de septembre, s’était mis au beau.
    — Madame Jeanne, je vous en
prie… ne vous penchez pas ainsi à tout moment, reprit Béatrice. Madame Mahaut a
recommandé que vous preniez bien garde à ne point vous montrer… lorsque nous
serions en Artois.
    Mais Jeanne ne pouvait pas se
contenir. Regarder ! Elle ne faisait rien d’autre depuis huit jours
qu’elle était libérée. Comme un affamé se gorge de nourriture sans croire qu’il
pourra jamais se rassasier, elle reprenait par le regard possession de
l’univers. Les feuilles aux arbres, les nuages légers, un clocher qui se
dessinait dans le lointain, le vol d’un oiseau, l’herbe des talus, tout lui
paraissait d’une exaltante splendeur. Lorsque les portes du château de Dourdan
s’étaient ouvertes devant elle, et que le capitaine de la forteresse,
s’inclinant fort bas, lui avait offert ses vœux de bonne route en lui exprimant
combien il s’était senti honoré de l’avoir eue pour hôte, Jeanne avait été
prise d’une sorte de vertige.
    « Me réhabituerai-je jamais à
la liberté ? » se demanda-t-elle.
    À Paris, une déception l’attendait.
Sa mère avait dû partir précipitamment pour l’Artois. Mais elle lui avait
laissé son char de voyage, ainsi que plusieurs dames de parage et de nombreuses
servantes.
    Tandis que tailleurs, couturières et
brodeuses se hâtaient de lui reconstituer une garde-robe, Jeanne avait profité
de cet arrêt de quelques jours pour parcourir, en compagnie de Béatrice, la
capitale. Elle s’y sentait comme une étrangère, venue de l’autre bout du monde,
et émerveillée par tout ce qu’elle voyait. Les rues ! Elle ne se lassait
pas du spectacle des rues. Les étalages de la Galerie mercière, les boutiques
du quai des Orfèvres !… Elle avait envie de tout palper, de tout acheter.
Encore qu’elle gardât ce maintien distant, contrôlé, qui avait toujours été le
sien, ses yeux brillaient, son corps s’animait d’une joie sensuelle au toucher
des brocarts, des perles, des bijoux. Et pourtant, elle ne pouvait chasser le
souvenir d’être venue, en ces mêmes boutiques, avec Marguerite de Bourgogne,
Blanche, les frères d’Aunay…
    « Je m’étais assez promis, en
ma prison, si jamais j’en sortais, se disait-elle, de ne plus accorder mon
temps aux choses frivoles. D’ailleurs, je ne m’y complaisais pas tellement
naguère ! D’où me vient cette fringale que je ne puis
réprimer ? »
    Elle observait les toilettes des
femmes, notait des détails nouveaux sur les coiffes, les robes et les surcots.
Elle cherchait à lire dans les yeux des hommes l’impression qu’elle produisait.
Les compliments muets qu’elle recevait, la manière dont les jeunes gens
tournaient la tête pour suivre son passage, pouvaient la rassurer pleinement. À
sa coquetterie, elle trouvait une excuse hypocrite. « J’ai besoin de
savoir si je possède encore des charmes, pour mon époux. »
    À vrai dire, ses seize mois de
détention l’avaient peu marquée. Le régime de Dourdan n’était en rien
comparable à celui de Château-Gaillard. Jeanne y disposait d’un logis décent,
d’une servante ; elle était autorisée à

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