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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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lire, à broder, et même à se promener
dans le verger du château. Elle s’était ennuyée, intolérablement, plus qu’elle
n’avait souffert.
    Sous de fausses nattes roulées
autour des oreilles, son cou mince soutenait toujours avec la même grâce sa
tête petite, aux pommettes hautes, aux yeux dorés et allongés vers les tempes,
ces yeux qui faisaient songer, comme sa démarche, comme toute sa personne, aux
blonds lévriers de Barbarie. Jeanne ressemblait bien peu à sa mère, sinon par
la robustesse de la santé, et tenait plutôt, pour l’apparence, du côté du feu
comte palatin qui avait été un seigneur plein d’élégance.
    Maintenant qu’elle approchait du but
de son voyage, Jeanne sentait croître son impatience ; ces dernières
heures lui semblaient plus longues que tous les mois écoulés. Les chevaux n’avaient-ils
pas diminué leur train ? Ne pouvait-on pas presser les palefreniers ?
    — Ah ! À moi aussi,
Madame, il tarde d’être à la halte, mais non pour les mêmes motifs que vous,
disait une des dames de parage, à l’autre bout du char.
    Cette personne, la dame de Beaumont,
était enceinte de six mois. La route commençait à lui être pénible ;
parfois, elle abaissait les yeux vers son ventre en poussant un si gros soupir
que les autres femmes ne pouvaient s’empêcher d’en rire.
    Jeanne de Poitiers dit à mi-voix à
Béatrice :
    — Es-tu bien sûre que mon époux
n’a pas pris d’autre attachement pendant tout ce temps ? Ne m’as-tu pas
menti ?
    — Mais non, Madame, je vous
l’assure… Et d’ailleurs, Monseigneur de Poitiers aurait-il tourné les yeux vers
d’autres femmes qu’il ne pourrait plus y penser maintenant… après avoir bu ce
philtre qui va vous le rendre tout entier. Voyez ; c’est lui qui a demandé
au roi votre retour…
    « Et même s’il a une maîtresse,
qu’importe, je m’en accommoderai. Un homme, même partagé, vaut mieux que la prison »,
pensait Jeanne. De nouveau, elle écarta le rideau comme si cela devait activer
l’allure.
    — De grâce, Madame, dit
Béatrice, ne vous montrez point tant… On ne nous aime guère en ce moment par
ici.
    — Pourtant les gens semblent
bien affables. Ces manants qui nous saluent n’ont-ils pas une mine
avenante ? répondit Jeanne.
    Elle laissa retomber le rideau. Elle
ne vit pas qu’aussitôt le char passé, trois paysans, qui venaient de la saluer
bien bas, rentraient en courant dans le sous-bois pour y détacher des chevaux
et partir au galop.
    Un moment après, le char pénétra
dans la cour du manoir de Vitz ; l’impatience de la comtesse de Poitiers
eut à subir là une nouvelle épreuve. Denis d’Hirson, en l’accueillant, lui
apprit que ni la comtesse d’Artois ni le comte de Poitiers n’étaient venus, et
qu’ils l’attendaient au château d’Hesdin, à dix lieues plus au nord. Jeanne
pâlit.
    — Que signifie ceci ?
demanda-t-elle en aparté à Béatrice. Ne dirait-on pas une dérobade pour ne
point me voir ?
    Et une brusque angoisse lui vint.
Tout ce voyage, et la pinte de sang tirée de son bras, le philtre, les
civilités du gardien de Dourdan, n’étaient-ils pas les éléments d’une comédie
montée où Béatrice jouait la mauvaise larronne ? Jeanne, après tout,
n’avait aucune preuve que son mari l’eût vraiment réclamée. N’était-on pas en
train simplement de la conduire d’une prison dans une autre, tout en entourant
ce transfert, pour de mystérieuses raisons, des apparences de la liberté ?
À moins, à moins… et Jeanne frémissait d’envisager le pire… qu’on n’eût pris la
précaution de la montrer, à Paris, libre et graciée, pour ensuite la faire
impunément disparaître. Béatrice ne lui avait pas caché que Marguerite était
morte dans des conditions fort suspectes. Jeanne se demandait si elle n’allait pas
subir un sort semblable.
    Elle apprécia peu le repas que Denis
d’Hirson lui offrit. L’état de bonheur qu’elle connaissait depuis huit jours
avait fait place brusquement à une atroce anxiété, et elle cherchait à lire son
destin sur les visages qui l’entouraient. Béatrice, la voix traînante et
toujours vaguement ironique, était impénétrable. Son oncle le trésorier, lui,
parlait à peine, répondait de travers aux questions et montrait tous les signes
de la préoccupation. Il y avait là deux seigneurs, les sires de Licques et de
Nédonchel, qui avaient été présentés à Jeanne comme ses escorteurs

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