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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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jusqu’à
Hesdin. Elle leur trouvait la mine peu avenante. N’étaient-ils pas chargés
d’une sinistre besogne à quelque tournant de route ?
    Nul, s’adressant à Jeanne, ne faisait
allusion à sa détention ; tout le monde affectait d’ignorer qu’elle eût
jamais été en prison, et cela même ne la rassurait guère. Les conversations,
auxquelles elle ne comprenait rien, roulaient uniquement sur la situation en
Artois, sur les coutumes, sur l’entrevue de Compiègne proposée par les envoyés
du roi, sur les troubles.
    — N’avez-vous point remarqué,
Madame, d’agitation sur votre chemin, ni de rassemblement d’hommes en
armes ? demanda Denis d’Hirson à Jeanne.
    — Je n’ai rien vu de tel,
messire Denis, répondit-elle, et les campagnes m’ont paru fort calmes.
    — On m’a pourtant signalé des
mouvements ; deux de nos prévôts ont été attaqués ce matin.
    Jeanne inclinait de plus en plus à
croire que toutes ces paroles n’avaient d’autre objet que d’endormir sa
méfiance. Il lui semblait qu’un filet invisible se resserrait. Elle se sentait
seule, abominablement seule…
    La dame enceinte mangeait avec une
extraordinaire gloutonnerie et continuait à pousser de gros soupirs en
regardant son ventre.
    Le sire de Nédonchel, homme aux
longues dents, au visage jaune et aux épaules voûtées, disait :
    — La comtesse Mahaut, je vous
assure, messire Denis, sera forcée de céder. Usez de votre empire sur elle.
Qu’elle cède, au moins en partie. Qu’elle renonce à votre frère, si dur qu’il
nous soit de vous le dire, ou qu’elle feigne d’y renoncer, car jamais les
alliés ne voudront traiter tant qu’il sera chancelier. Le sire de Licques et
moi-même risquons gros à demeurer fidèles à la comtesse, tout en faisant mine
d’agir avec les autres barons. Plus elle attend, plus son neveu Robert gagne
sur les esprits.
    À ce moment, un sergent, nu-tête et
hors d’haleine, pénétra dans la salle du repas.
    — Qu’y a-t-il, Cornillot ?
demanda Denis d’Hirson.
    Le sergent Cornillot chuchota
quelques phrases hachées à l’oreille de Denis d’Hirson. Celui-ci devint blême,
rabattit la nappe qui lui couvrait les genoux, sauta de son banc.
    — Un moment, mes seigneurs, il
me faut aller voir…
    Et il s’enfuit à toutes jambes par
une des petites portes de la salle, suivi de Cornillot qui lui collait aux
chausses. Leurs pas précipités décrurent dans un escalier.
    L’instant d’après, alors que les
convives n’étaient pas encore revenus de leur surprise, une grande clameur
monta de la cour. On eût dit qu’une armée entière venait d’y entrer au galop.
Un chien, qui avait dû recevoir un coup de sabot, hurlait à la mort. Licques et
Nédonchel coururent aux fenêtres, tandis que les femmes d’escorte de la
comtesse de Poitiers se tassaient dans un coin de la pièce comme un troupeau de
pintades. Auprès de Jeanne, seules étaient restées Béatrice et la dame enceinte
dont le visage avait pris une mauvaise couleur.
    Béatrice joignit les mains ;
elle tremblait. Jeanne comprit qu’elle n’était certainement pas de connivence
avec les assaillants. Mais cela ne rendait pas la situation plus gaie et, de
toute manière, le temps manquait pour penser.
    La porte vola plutôt qu’elle ne
s’ouvrit, et une vingtaine de barons, conduit par Souastre et Caumont,
entrèrent l’épée au poing, en hurlant :
    — Où est le traître, où est le
traître ? Où se cache-t-il ?
    Ils s’arrêtèrent, un peu hésitants
devant le spectacle qui s’offrait à eux. Ils avaient plusieurs motifs de
surprise. D’abord, l’absence de Denis d’Hirson, qu’ils étaient sûrs de trouver
là et qui venait de disparaître comme derrière le voile d’un enchanteur. Et
puis ce groupe de femmes jacassantes ou pâmées, se serrant les unes contre les
autres et qui se voyaient déjà promises à un viol général. Enfin et surtout la
présence de Licques et de Nédonchel. L’avant-veille encore, à Saint-Pol, ces
deux chevaliers étaient du nombre des conjurés, et voici qu’on les découvrait
attablés dans une maison du camp adverse.
    Les transfuges furent copieusement
insultés ; on leur demanda combien ils touchaient pour leur parjure, s’ils
s’étaient vendus aux Hirson pour trente deniers ; et Souastre appliqua son
gantelet de fer sur la longue face jaune de Nédonchel, qui se mit à saigner de
la bouche.
    Licques s’efforçait de s’expliquer,
de se

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