Les Poisons de la couronne
justifier.
— Nous étions venus plaider votre
cause, nous voulions éviter des morts et des ravages inutiles. Nous étions près
d’obtenir par paroles mieux que vous par vos épées.
On le contraignit à se taire en
l’accablant d’injures. Dans la cour, les autres alliés continuaient de mener
tapage. Ils n’étaient pas moins d’une centaine.
— Ne dites pas mon nom, souffla
Béatrice à la comtesse de Poitiers, car c’est à ma famille qu’ils en ont.
La dame enceinte eut une crise de
nerfs et s’écroula sur son banc.
— Où est la comtesse
Mahaut ? criaient les barons. Il faudra bien qu’elle nous entende !
Nous savons qu’elle se trouve ici, nous avons suivi son char.
Les choses commençaient à
s’éclaircir pour Jeanne Ce n’était pas à sa vie, spécialement, que les
braillards en voulaient. Son premier mouvement de frayeur passé, la colère lui
vint à la gorge, le sang des d’Artois se réveillait en elle.
— Je suis la comtesse de
Poitiers, s’écria-t-elle, et le char que vous avez vu me transportait.
J’apprécie peu qu’on pénètre avec tant de fracas dans le lieu où je suis.
Comme les insurgés ignoraient
qu’elle fût sortie de prison, cette annonce imprévue les rendit un moment
silencieux. Ils allaient décidément de surprise en surprise.
— Voulez-vous me dire vos noms,
reprit Jeanne, car j’ai coutume de ne parler qu’aux gens qui me sont nommés, et
j’ai peine à savoir qui vous êtes sous vos harnois de guerre.
— Je suis le sire de Souastre,
répondit le meneur aux gros sourcils roux, et celui-ci est mon compagnon
Caumont Et voici Monseigneur Jean de Fiennes, et messire de Saint-Venant, et
messire de Longvillers ; nous cherchons la comtesse Mahaut.
— Comment ? coupa Jeanne.
Je n’entends que noms de gentilshommes ! Je ne l’aurais point cru à votre
manière d’en user avec des dames qu’il vous conviendrait de protéger et non
d’assaillir. Voyez madame de Beaumont qui est grosse presque à mettre bas, et
que vous venez de faire pâmer. N’en avez-vous point honte ?
Un flottement se dessina parmi les
alliés. Jeanne était belle, et sa manière de tenir tête leur en imposait. Et
puis, elle était la belle-sœur du roi et paraissait revenue en grâce. Jean de
Fiennes, le mieux né et le plus important de ces seigneurs, se souvenait
d’avoir vu Jeanne, naguère, à la cour. Il l’assura qu’ils ne lui voulaient
aucun mal, leur expédition ne visait que Denis d’Hirson, parce qu’il avait juré
qu’il reniait son frère et ne tenait pas son serment.
En vérité, ils avaient espéré
prendre Mahaut dans un piège et la contraindre par la force. Pour se venger de
leur déconvenue, ils mirent la maison au pillage. Pendant une heure, le manoir
de Vitz résonna du fracas des portes claquées, de l’éventrement des meubles et
de bris des vaisselles. On arrachait des murs tapisseries et tentures, on
raflait l’argenterie sur les crédences.
Puis, un peu calmés mais toujours
menaçants, les insurgés firent remonter Jeanne et ses femmes dans le grand char
doré, Souastre et Caumont prirent le commandement de l’escorte, et le char,
environné d’un bruissement d’acier, s’engagea sur la route d’Hesdin.
Les alliés, de cette façon, étaient
sûrs maintenant de parvenir jusqu’à la comtesse d’Artois.
À la sortie du bourg d’Ivergny,
distant d’environ une lieue, un arrêt se produisit. Quelques alliés, lancés à
la recherche de Denis d’Hirson, venaient de le rattraper au moment où il
essayait de franchir l’Authie en traversant les marécages. Il apparut crotté,
battu, saignant, enchaîné, et titubant entre deux barons à cheval.
— Que vont-ils lui faire ?
Que vont-ils lui faire ? murmura Béatrice. Dans quel état l’ont-ils
mis !
Et elle commença de prononcer à voix
basse de mystérieuses prières qui n’avaient de sens ni en latin ni en français.
Après quelques palabres, les barons
décidèrent de le garder comme otage, en l’enfermant dans un château voisin.
Mais leur fureur meurtrière avait besoin d’une victime.
Le sergent Cornillot avait été pris
en même temps que Denis. Or ce même Cornillot, pour son malheur, avait
participé quelque temps auparavant à l’arrestation de Souastre et de Caumont.
Ceux-ci le reconnurent et les alliés exigèrent qu’on lui réglât son compte
sur-le-champ. Mais il fallait que sa mort servît d’exemple et donnât à
réfléchir à tous
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