Les Poisons de la couronne
les sergents de Mahaut. Certains préconisaient la pendaison,
d’autres voulaient que Cornillot fût roué, d’autres encore qu’il fût enterré
vif. Dans une grande émulation de cruauté, on discutait devant lui de la
manière dont on allait le tuer, tandis qu’à genoux, le visage en sueur, le
sergent braillait son innocence et suppliait qu’on l’épargnât.
Souastre trouva une solution qui mit
tout le monde d’accord, sauf le condamné.
On alla chercher une échelle. On
hissa Cornillot dans un arbre où on le hala par les aisselles, puis, quand il
eut gigoté un bon moment pour la joie des barons, on coupa la corde et on le
laissa tomber sur le sol. Le malheureux, les jambes brisées, hurla tout le
temps qu’on creusa sa tombe. On l’enterra debout, sa tête seule émergeant où
roulaient des yeux fous.
Le char de la comtesse de Poitiers
attendait toujours au milieu du chemin, et les dames d’escorte se bouchaient
les oreilles pour ne pas entendre les cris du supplicié. La comtesse de
Poitiers se sentait défaillir mais n’osait intervenir, de peur que la colère
des alliés ne se retournât contre elle.
Enfin, Souastre tendit sa grande
épée à l’un de ses valets d’armes. La lueur de la lame brilla au ras du sol et
la tête du sergent Cornillot roula sur l’herbe, tandis qu’un flot de sang,
jailli comme d’une rouge fontaine, arrosait à l’entour la terre meuble.
Au moment où le char se remit en
route, la dame enceinte fut prise de douleurs ; elle commença de hurler,
en se renversant en arrière. On sut aussitôt qu’elle n’irait pas au terme de sa
grossesse.
III
LE SECOND COUPLE DU ROYAUME
Hesdin était une importante
forteresse à trois enceintes, entrecoupée de fossés, hérissée de tours
flanquantes, truffée de bâtiments, d’écuries, de greniers, de resserres, et
reliée par plusieurs souterrains à la campagne environnante. Une garnison de
huit cents archers pouvait y tenir à l’aise. À l’intérieur de la troisième cour
se trouvait la résidence principale des comtes d’Artois, composée de divers
corps de logis somptueusement meublés.
— Tant que j’aurai cette place,
avait coutume de dire Mahaut, mes méchants barons ne viendront pas à bout de
moi. Ils s’useront bien avant que mes murs n’aient cédé, et mon neveu Robert se
leurre s’il pense que jamais je le laisserai s’emparer d’Hesdin.
— Hesdin m’appartient de droit
et d’héritage, déclarait de son côté Robert d’Artois ; ma tante Mahaut me
l’a volé comme tout mon comté. Mais je ferai tant que je le lui reprendrai.
Lorsque les alliés, escortant le
char de Jeanne de Poitiers, et portant au bout d’une pique la tête du sergent
Cornillot, parvinrent à la nuit tombante devant la première enceinte, leur
nombre s’était réduit sensiblement. Le sire de Journy, prétextant qu’il devait
surveiller la rentrée de son regain, avait quitté le cortège, imité bientôt du
sire de Givenchy récemment marié et qui craignait que sa jeune femme ne
s’ennuyât ou ne s’inquiétât. D’autres, dont les manoirs se voyaient de la
route, avaient choisi d’aller souper chez eux, entraînant leurs meilleurs amis
et assurant qu’ils rejoindraient tout à l’heure. Les obstinés n’étaient plus
guère qu’une trentaine qui chevauchaient depuis de longs jours et se sentaient
un peu las du poids de leurs vêtements d’acier.
Ils eurent à parlementer un bon
moment avant qu’on ne leur permît de franchir le premier corps de garde. Puis,
ils durent attendre encore, et Jeanne de Poitiers au milieu d’eux, entre la
première et la seconde enceinte.
La nouvelle lune s’était levée dans
un ciel encore clair. Mais l’ombre s’épaississait au fond des cours d’Hesdin.
Tout était tranquille, trop tranquille même, au goût des barons. Ils
s’étonnaient de voir si peu d’hommes d’armes. Un cheval au fond d’une écurie
hennit, ayant flairé la présence d’autres chevaux.
La fraîcheur du soir s’installait,
où Jeanne reconnaissait des parfums d’enfance. Madame de Beaumont, dans le
char, continuait à gémir qu’elle se mourait. Les barons discutaient entre eux.
Certains estimaient qu’ils en avaient assez fait pour le moment, que l’affaire
commençait à sentir le traquenard, et que l’on aurait avantage à revenir en
force, un autre jour. Jeanne vit l’instant où elle allait être emmenée, elle
aussi, en otage.
Enfin, le deuxième
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