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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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n’avons pas été saisis,
terres et murs, par le prévôt Portefruit, c’est bien à Guccio que nous le
devons. Rappelez-vous aussi qu’il nous a évité de mourir de famine en nous
fournissant des victuailles que nous n’avons jamais payées. Avant de l’écarter,
songez un peu si vous pouvez vous acquitter. Guccio est riche et le sera plus
encore avec les années. Il est fort protégé, et si le roi de France l’a trouvé
d’assez bonne apparence pour le joindre à l’ambassade qui allait à Naples
chercher la nouvelle reine, je ne vois pas que nous ayons tant à faire les
difficiles.
    Jean haussa les épaules.
    — C’est encore Marie qui nous a
conté cela, dit-il. Il y est allé comme marchand, pour faire son négoce.
    — Et même si le roi l’a envoyé
à Naples, cela ne veut pas dire qu’il lui donnerait sa fille ! s’écria
dame Eliabel.
    — Ma pauvre mère… répliqua
Pierre ; Marie n’est pas la fille du roi de France, que je sache !
Elle est fort belle, certes…
    — Je ne vendrai pas ma sœur
pour argent, cria Jean de Cressay.
    Ses yeux brillaient au milieu d’un
poil hirsute.
    — Tu ne la vendrais pas, non,
répondit Pierre ; mais tu t’accommoderais pour elle d’un barbon, sans
t’offenser qu’il fût riche, à condition qu’il traînât éperons à ses talons
goutteux. Si elle aime Guccio, tu ne la vends pas !… La noblesse ?
Bah ! Nous sommes assez de deux garçons pour la maintenir. Je me dois de vous
dire que je ne verrais pas ce mariage d’un si mauvais regard.
    — Et tu ne verrais point non
plus d’un mauvais regard ta sœur installée à Neauphle, dans notre fief,
derrière un comptoir de banque, à peser le billon et à trafiquer de
l’épice ? Tu déraisonnes, Pierre, et je me demande d’où peut te venir si
peu de respect de ce que nous sommes, dit dame Eliabel. En tout cas, je ne
consentirai jamais à une telle mésalliance, et ton frère non plus ;
n’est-il pas vrai, Jean ?
    — Certes, ma mère, et c’est
déjà trop que d’en débattre. Je prie Pierre de n’en plus jamais parler.
    — C’est bon, c’est bon, tu es
l’aîné ; agis comme tu l’entends, dit Pierre.
    — Un Lombard ! Un
Lombard ! reprit dame Eliabel. Ce jeune Guccio arrive, me
dites-vous ? Laissez-moi faire, mes fils. La créance et les obligations
que nous lui avons nous empêchent de lui fermer notre porte. Soit, nous allons
bien le recevoir ; mais s’il est fourbe, je le serai aussi, et je me
charge de lui ôter l’envie de venir à nouveau, si c’est pour le motif que nous
craignons !
     

II

LA RÉCEPTION DE DAME ELIABEL
    Le lendemain, dès l’aube, il semblait
que la fièvre qui agitait le comptoir de Neauphle eût gagné le manoir de
Cressay. Dame Eliabel bousculait sa servante et six serfs du domaine avaient
été requis en corvée pour la journée. On lavait les dalles à grande eau, on
dressait la table, on entassait les bûches de part et d’autre de la
cheminée ; l’écurie était garnie de paille fraîche, la cour balayée ;
dans la cuisine, un marcassin et un mouton entiers tournaient déjà sur leur
broche ; les pâtés cuisaient au four ; et le bruit se répandait dans
le hameau que les Cressay attendaient un envoyé du roi.
    L’air était froid, léger, traversé
d’un pâle soleil de janvier qui égayait les branchages nus et posait dans les
flaques des chemins quelques gouttes de lumière.
    Guccio arriva en fin de matinée,
couvert d’un manteau doublé de fourrure, coiffé d’un large chaperon de drap
vert dont la crête lui retombait sur l’épaule, et monté sur un beau cheval bai,
bien nourri et finement harnaché. Il était accompagné d’un valet, et sentait
d’une lieue l’homme riche.
    Il trouva la châtelaine et ses deux
fils en vêtements de fête. L’accueil qu’on lui fit, l’empressement des
serviteurs, les embrassades de dame Eliabel, l’apprêt du couvert et de la
maison, lui parurent signes d’excellent augure. Marie, d’évidence, avait parlé
à sa famille. On savait pourquoi il venait, et on le traitait déjà comme le
fiancé. Pierre de Cressay, toutefois, montrait un peu de gêne.
    — Mes bons amis, s’écria Guccio,
que j’ai donc de joie à vous revoir ! Mais il ne fallait pas vous mettre
tellement en frais. Traitez-moi tout juste comme si j’étais de votre famille.
    Le mot déplut à Jean, qui échangea
un regard avec sa mère.
    Guccio avait un peu changé d’aspect.
De son accident, il

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