Les Poisons de la couronne
lui restait une légère raideur dans la jambe droite qui
n’était pas sans donner quelque élégance hautaine à sa démarche. Les semaines
d’immobilité sur un lit d’hôpital avaient favorisé une dernière poussée de
croissance. Ses traits s’étaient accusés ; son visage offrait une
expression plus sérieuse, mûrie. L’adolescence chez lui s’effaçait pour lui
laisser prendre son apparence d’homme.
Sans avoir rien perdu de son
assurance d’antan, bien au contraire, il se donnait moins de mal pour en imposer
à autrui. Il parlait avec moins d’accent et un peu plus de lenteur, mais
toujours avec autant de gestes.
Regardant les murs autour de lui
comme si déjà il en était le maître, il demanda aux frères Cressay s’ils
avaient l’intention d’effectuer quelques réparations sur leur manoir.
— J’ai vu en Italie, dit-il,
certains plafonds à peinture qui seraient ici du meilleur effet. Et votre salle
d’étuve, ne comptez-vous pas la rebâtir ? On en fait aujourd’hui de
petites qui ont beaucoup de commodité et, à mon avis, ceci est indispensable
aux soins du corps, pour les gens de qualité.
Il fallait comprendre, en
sous-entendu : « Je suis prêt à payer tout cela, car c’est ainsi que
j’aime à vivre. » Guccio avait également des idées sur le mobilier, sur
les tapisseries à suspendre aux murailles pour les égayer. Il commençait à fort
agacer Jean de Cressay, et Pierre lui-même estimait que c’était aller un peu
vite en besogne que de parler, au débotté, de refaire déjà toute la maison.
Guccio devisait ainsi, de choses et
d’autres, depuis une demi-heure, et Marie n’était toujours pas apparue.
« Peut-être, pensa-t-il, dois-je d’abord me déclarer…»
— Aurai-je le plaisir de voir
mademoiselle Marie ; nous fait-elle compagnie pour dîner ?
— Certes, certes ; elle
s’apprête, elle descendra tout à l’heure, répondit dame Eliabel. Vous allez la
trouver bien différente ; elle est tout à son nouveau bonheur.
Guccio se leva, le cœur battant.
— Vraiment ? s’écria-t-il.
Oh ! Dame Eliabel, quelle joie vous me causez !
— Oui, et nous aussi, nous
sommes bien joyeux de pouvoir nous louer de cette bonne nouvelle avec un ami
tel que vous. Notre chère Marie est fiancée…
Elle marqua un temps.
— … elle est fiancée à
l’un de nos parents, le sire de Saint-Venant, un gentilhomme d’Artois de fort
vieille noblesse qui s’est épris d’elle, et dont elle est éprise.
Guccio demeura un instant comme dans
le brouillard, incapable de parler, tripotant machinalement le reliquaire d’or
que lui avait donné la reine Clémence et qui brillait sur son justaucorps de
deux couleurs, à la dernière mode italienne. Il entendit Jean de Cressay ouvrir
la porte et appeler sa sœur.
Faisant effort pour se reprendre,
Guccio dit, d’une voix qui lui sembla celle d’un autre :
— Et quand les noces
auront-elles lieu ?
— Aux premiers jours de l’été,
répondit dame Eliabel.
— Mais c’est tout juste comme
si c’était fait, précisa Jean de Cressay, car les paroles sont échangées.
Celle à qui Guccio dédiait ses
pensées depuis tant de mois, dont il avait si souvent parlé à Clémence de
Hongrie, à Bouville, à Tolomei, et qui avait été dans l’éloignement et la
maladie le centre de ses rêves, entra, raide, distante, mais les yeux rouges.
Elle souhaita du bout des lèvres la bienvenue à Guccio. Il se contraignit à la
féliciter, et elle mit autant de dignité qu’elle put à recevoir ses
compliments. Elle était tout près d’éclater en sanglots, mais réussit à se
dominer, si bien que Guccio prit pour une froideur réelle ce qui n’était chez
Marie que la crainte de se trahir et d’encourir les châtiments dont on l’avait
menacée.
Le repas, trop copieux, fut pénible.
Dame Eliabel, se délectant de sa propre perfidie, jouait la gaieté, obligeait
son hôte à reprendre de chaque plat et ordonnait aux serviteurs de lui porter
un nouveau quartier de mouton ou de marcassin sur sa tranche de pain.
— Avez-vous perdu l’appétit en
vos longs voyages ? s’écriait-elle. Allons, allons, messire Guccio, il
faut se bien nourrir à votre âge. N’est-ce point de votre goût ?…
Servez-vous mieux de ce pâté !
Pas une fois Guccio ne put rencontrer
le regard de Marie.
« Elle ne paraît pas trop fière
d’avoir renié la foi qu’elle m’avait jurée, pensait-il. N’ai-je donc
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