Les porteuses d'espoir
sur son lit, ne couvrant son corps déjà si amaigri que d’un drap de
coton blanc. Plus jamais elle ne se relèverait. Plus jamais la nourriture ne
franchirait ses lèvres,elle se refuserait même à boire. Les yeux
fixés au plafond, elle s’était concentrée sur sa respiration. Les heures avaient
passé et elle était devenue tout engourdie. Enfin, elle savait ce que le
Seigneur attendait d’elle. Elle ne craignait pas le jeûne. Mais la soif, la soif
devenait de plus en plus intenable. Refuser d’avaler une seule goutte d’eau se
révélait un combat, une souffrance indescriptible. Satan venait, la nuit, la
narguer, lui faire entendre le bruit d’un verre d’eau que l’on remplit, le chant
d’une fontaine, le rire d’un ruisseau cristallin. Le malin la piquait de sa
fourche, partout en son corps. Elle n’abdiquera pas. Cette fois, elle ne trahira
pas son Seigneur. Les religieuses avaient beau s’activer autour d’elle, faire
venir un médecin, tenter de la relever, Léonie n’allait pas broncher. Elle
n’était déjà plus vraiment dans son corps. Elle allait enfin réussir à expier
ses fautes. Il n’y en avait plus que pour quelques heures, elle le sentait. La
délivrance approchait. Avant de pousser son dernier râle, des plaies s’ouvriront
dans le creux de ses mains, sur le dessus de ses pieds, à son flanc droit. Elle
tachera de sang son linceul. Elle ne cillera pas. Peut-être gémira-t-elle, mais
elle résistera. Enfin, son destin était clair. Sinon, combien d’autres vies
seraient fauchées par sa faute ? Son martyre allait racheter les péchés du monde.
Bientôt, il n’y en avait plus pour longtemps, déjà son corps refroidissait, elle
sentait l’étau glacé autour de son cœur qui battait si faiblement… Les
religieuses pouvaient la secouer, tenter de l’abreuver, elle était légère… Elle
n’était plus humaine. Un sourire illumina son visage, ses yeux grands ouverts
virent enfin le visage de Jésus, souriant, satisfait de son ultime sacrifice.
Enfin, elle était pardonnée.
Les poules rassasiées, Yvette n’eut pas envie de retourner immédiatement à la
maison. Tant pis pour l’école ! Ils seraient encore enretard…
Leur maîtresse ne dirait rien. C’était un des privilèges qui viennent avec ceux
dont le nom est lié à un drame. Au village, on regardait les membres de la
famille Rousseau comme des curiosités. Ils n’étaient plus des habitants
ordinaires. Ils étaient la parenté de ceux qui sont morts… Yvette détestait ces
silences sur leur passage, les regards de pitié qu’on leur décochait. Dans la
classe, elle ne pouvait s’empêcher de regarder les bancs vides qui avaient été
occupés avant par une cousine, compagne de fous rires, confidente de ses petites
peines, et par un cousin qui rêvassait plus qu’il étudiait… Baveux sur les
talons, Yvette courut jusqu’au fond du champ. Quand cesserait-elle d’avoir le
cœur si à l’envers ? Elle n’avait plus d’amie, elle était seule. Elle donnerait
tout pour ressentir à nouveau la sécurité, l’insouciance. Essoufflée, elle se
laissa tomber sur l’herbe. Elle prit son chien par le cou et se mit à pleurer.
Baveux ne broncha pas. Avec patience, l’animal se laissa étouffer, indifférent à
se faire mouiller la fourrure. Ce n’était pas la première fois que sa maîtresse
s’adonnait à cet exercice matinal. Depuis le printemps, c’était même régulier.
Les hoquets allaient s’espacer, l’étreinte se relâcher. Elle reniflerait un bon
coup et ils repartiraient vers la maison et c’est lui qui gagnerait la course.
Comme récompense, la fillette s’arrêterait à l’étable et lui donnerait un bel
os.
Yvette poussa la porte de la grange. Elle prit quelques secondes pour
s’habituer à la pénombre du bâtiment. Elle s’avança vers la chaudière dans
laquelle on déposait des os et des restes de table pour nourrir le chien.
Soudain, le cœur lui manqua. Là, devant elle, une ombre se balançait au-dessous
d’une poutre...
— Ah ! je pense que je vais aller pêcher un peu à matin, si vous
avez pas besoin de moé, mon oncle.
— Commence par aller déjeuner, répondit-il un peu sèchement.
Il n’appréciait pas cette propension à se sauver de l’ouvrage.
François-Xavier dirigea l’attelage doucement vers l’arrière de la ferme.
— Pis tu pourras
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