Les porteuses d'espoir
chemise à carreaux de Georges. Non, oh, non !... Tout était sombre,
mais la tête penchée, les bras ballants, non, oh, non ! par pitié, Georges...
Yvette se tut, mais ne bougea pas. François-Xavier trouva enfin la force de
réagir. Il voulut dire à sa fille de se détourner, de ne pas regarder quand tout
à coup, un rire lugubre résonna dans la grange.
Après quelques secondes d’incompréhension, il devina. Les traits durcis, il
attrapa Yvette par les épaules et s’accroupit devant elle.
— Tout va bien, ma petite princesse. Va aider ta maman en dedans pis dis-y
rien. Je vas prendre soin de mononcle Georges.
Après le départ de sa fille, François-Xavier s’approcha du corps et d’un coup
de poing rageur envoya valser le pendu.
— Tu te trouves ben drôle peut-être ?
— Bateau, ouais, je me trouve drôle à en mourir.
Face à face, un épouvantail pendu à la poutre entre eux, François-Xavier et
Ti-Georges s’affrontèrent du regard. Une bouteille à la main, en camisole, le
farceur invita son beau-frère à venir trinquer avec lui.
— Y m’en reste encore, lui dit-il.
— Pourtant, t’as l’air d’être ben imbibé, rétorqua François-Xavier avec
dédain.
Ti-Georges haussa les épaules et tout en titubant, s’offrit uneautre rasade. Après s’être essuyé du revers de la main, il vint tapoter le
fantoche de paille.
— Je lui ai mis ma chemise pour voir de quoi j’aurais l’air. Yé beau en
bateau !
Sans plus attendre, avec rage, François-Xavier alla décrocher l’épouvantail de
sa morbide position.
— Sa place est dans le jardin, pas au bout d’une corde, maugréa-t-il tout en
peinant à défaire le nœud coulant.
— Lâche-moé ta face d’enterrement ! D’enterrement, répéta l’ivrogne. C’est de
circonstance comme expression, hein ?
Devant l’attitude fanfaronne de son ami, la colère de François-Xavier décupla.
Un instant, il avait vraiment cru à sa mise en scène. Sans réfléchir, il décida
qu’il était temps de pousser Ti-Georges dans ses limites. Déterminé, il empoigna
le rouleau de corde qu’il venait de retirer du cou du pantin et le lança sur
Georges.
— C’est ça que tu veux, te pendre ? Envoye, je vas t’aider. Y faudrait pas que
tu te rates ! Envoye, passe-la autour de ton cou ! T’as toutes les raisons du
monde de vouloir mourir toé aussi Ti-Georges. Ça a pas de nom l’horreur qui a
pris tes enfants, ta femme, ça fait que vas-y, pends-toé, accroche-toé à la
poutre. Si c’est vraiment ça que tu veux, fais-le. Mais écoute-moé ben,
Ti-Georges Gagné. Je vas avoir ben de la peine parce que les autres vont dire
qu’ils savaient ben que t’étais pas assez fort pour cette grosse vague, mais moé
je vas leur dire que c’est pas vrai, qu’en dedans de toé t’avais la force de
continuer, que c’était la maudite boisson qui te rendait faible, faible comme
ton père l’a été... Décide. Mais tu peux plus rester entre les deux. Tu vis ou
tu meurs. Si tu vis, tu toucheras plus à une goutte de ce poison-là pis tu vas
montrer le vrai Georges. J’te dis pas que ça va être facile, ta peine va
toujours être là, mais au moins, tu vas la vivre en homme, en vrai. C’est ta
décision.
François-Xavier quitta l’étable. Le cœur battant, il s’appuya le
dos au mur du bâtiment. Avait-il eu raison ? Qu’est-ce qui lui avait pris ? Il
n’entendait aucun bruit venant de la grange. Il attendit. Le chien des enfants
se tenait devant lui, une expression interrogative dans ses doux yeux
bruns.
Après une éternité, on bougea à l’intérieur. Puis Ti-Georges apparut, la corde
et la bouteille d’alcool toujours entre les mains. Il lança un regard mauvais à
son ami. Sans le quitter des yeux, lentement, le désespéré vida, d’un geste
théâtral, le restant de gros gin. Il secoua la bouteille pour faire tomber la
dernière goutte et la jeta aux pieds de François-Xavier. Il y ajouta la corde.
Relevant la tête, il partit en direction de la maison.
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1 Repris par la Société
historique du Saguenay : http://www.shistoriquesaguenay.com/Drapeau.asp
D EUXIÈME PARTIE
Hiver 1943
U
n fanal à la main, Pierre entra dans la sombre forêt.
Ses compagnons de chantier étaient encore en train de souper. Pierre s’était
éclipsé sans rien dire. Les bûcherons le croyaient à la recherche d’un coin
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