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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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tranquille pour ses besoins naturels. Mais les pas de Pierre ne le conduisaient
     pas derrière un arbre, mais à son repaire secret. L’automne dernier, dès le
     lendemain de son arrivée au campement, Pierre avait découvert la crevasse au
     milieu d’un gros rocher. Il lui fallait faire un peu d’escalade, cependant
     l’ascension était aisée. Il suffisait de bien placer les pieds entre les racines
     entrecroisées d’une pruche centenaire. La faille se dissimulait derrière des
     broussailles. Elle s’évasait pour aboutir à une cavité de la taille d’un homme.
     L’antre était petit, mais pour Pierre, cela s’était avéré le refuge idéal. Ses
     émotions étaient contradictoires. À dix-sept ans, il croyait être devenu un
     homme et pourtant, il se sentait fragile comme un petit enfant. Jamais il
     n’aurait cru que quitter la ferme de Saint-Ambroise eût été si pénible. La
     veille de son départ pour les chantiers, sa mère lui avait cuisiné ses plats
     favoris. Ses petits frères et sœurs avaient la larme à l’œil. Pierre était
     l’aîné de la famille, mais depuis l’incendie, il avait littéralement outrepassé
     ce rôle. L’adolescent était devenu le protecteur et c’est avec une patience
     d’ange qu’il couvait les jeux des plus jeunes. Toute son adolescence, il l’avait
     passée à se consacrer à cette vie familiale. Il était heureux dans le brouhaha
     et les chamailleries de sa tribu.La ferme, ses champs, sa
     rivière, le village, son église, son curé… Il s’était forgé un cocon sécuritaire
     et bienveillant. Même la guerre ne l’avait pas trop dérangé. Il entendait parler
     de rationnement d’essence, de nourriture, d’effort de guerre, mais sans que tout
     cela ne l’affecte vraiment. Évidemment, il priait pour son cousin Elzéar, engagé
     dès le début du conflit. Le Canada était entré en guerre en septembre 1939 à la
     suite de la Grande-Bretagne. En tant que colonie, le gouvernement n’avait guère
     eu le choix. Évidemment, ceux d’allégeance anglophone se sentaient concernés par
     le conflit, mais la majorité des Canadiens français ne ressentaient aucun désir
     à aller défendre un souverain imposé. Le roi voulait que ses vaillants petits
     Canadiens traversent avec joie l’océan et qu’ils se précipitent, le torse bombé
     de fierté, sous les balles des Allemands. Pierre n’avait jamais compris cet
     empressement qu’Elzéar avait eu de se porter volontaire dès le début du conflit.
     Avec un air railleur, Elzéar était passé à la ferme leur dire au revoir. À cette
     époque, son cousin vivait avec son père Georges à Jonquière dans un appartement.
     Après la nuit du drame, les rescapés du feu avaient été recueillis pendant
     plusieurs mois à la ferme de Saint-Ambroise. Cependant, un peu avant les fêtes
     du centenaire de 1938, son oncle avait quitté le village précipitamment. Pierre,
     qui résidait encore au presbytère, n’avait su le pourquoi de cette subite
     décision. Jonquière n’était pas si loin de Saint-Ambroise, mais son oncle et son
     cousin auraient pu s’exiler dans des contrées lointaines, il n’y aurait pas eu
     grande différence. Les deux familles ne se fréquentaient plus vraiment. De part
     et d’autre, les visites se faisaient rares et courtes. Quand le nouveau soldat
     était arrivé, un dimanche après-midi, heureux comme jamais, si fier de parader
     dans son nouvel uniforme, Pierre avait eu peine à reconnaître son cousin Elzéar.
     Malgré les nombreuses années passées depuis ce jour, Pierre s’en souvenait comme
     si c’étaithier. Du bout des doigts, il avait touché la manche
     vert kaki de la veste cintrée de l’uniforme. Son cousin était parti à
     rire.
    — C’est pas de la guenille, tu peux toucher ! Avec un peu de chance, si la
     guerre peut durer ben des années, tu pourras t’enrôler toé aussi le
     petit !
    Julianna avait eu un hoquet d’indignation.
    — Elzéar Gagné, t’as pas honte de parler de même !
    — Ben matante, fâchez-vous pas. Un soldat a droit à toutes les impolitesses,
     vous le savez ben.
    — J’aurais jamais dû vous laisser partir, toi pis ton père, vivre à Jonquière.
     Moi, je t’aurais empêché de signer ton engagement. Pauvre Georges… Comment ton
     père a pu te donner sa permission ?
    — Je lui ai pas demandé, matante. De toute façon, papa, il reste enfermé dans
     son appartement, quand il est

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