Les porteuses d'espoir
prit un bol de
gruau et essaya de nourrir son fils. Tout en essayant de faire prendre une
bouchée à Léo qui refusait de coopérer, elle maugréa :
— Des fois, je sais pas à quoi a pensé ton parrain Henry de te donner ce chien
en cadeau ! Un embarras. Ouvre la bouche Léo, une cuillerée pour maman...
Le chien hurlait comme un loup maintenant. Julianna cria :
— Baveux, couché !
Découragée, elle laissa tomber la cuillère sur la table. Il n’y avait rien à
faire !
— Je suis vraiment heureux de voir à quel point tu as retrouvé
l’appétit, dit le curé Duchaine en souriant à son protégé.
Pierre continua d’avaler ses œufs. Il faut dire que les repas du presbytère
n’étaient pas comparables à ceux de la maison. Ne plus avoir la sempiternelle
bouillie d’avoine pour déjeuner était loin d’être désagréable.
— Tu n’as plus mal aux jambes maintenant ? demanda le curé en faisant signe à
sa ménagère de lui verser un autre café.
— Presque pas, le rassura Pierre.
Les premières semaines après le grand feu, la douleur causée par ses brûlures
lui embrouillait l’esprit et l’empêchait presque de pleurer la perte de sa
parenté. Lorsque la peau arrêta de pendre tels des haillons sur ses jambes et
que le contact de l’air ne lui donna plus envie de hurler, il regretta presque
cette délivrance. Ses cousins avaient-ils souffert ? Avaient-ils été brûlés vifs
ou ne s’étaient-ils jamais réveillés ? Adulte, il se douterait du triste sort
que l’explosion et la soudaineté de l’incendie avaient réservé aux prisonniers
de l’étage. Pourtant, il ne se rappelait pas avoir entendu le moindre cri.
Comment continuer à sourire, à jouer, à vivre ? Il s’était senti coupable de ne
pas être lui aussi qu’un tas d’ossements mélangés dans une boîte enterrée.
Pierre trouva réconfort auprès du curé Duchaine. Les visites régulières du
religieux avaient été ce à quoi il s’accrochait le plus. De sa douce voix,
calmement, le curé discutait avec lui de choses et d’autres. Pour lui apprendre
son catéchisme, le curé lui avait offert de l’héberger pendant tout le mois de
mai. Mais Pierre devrait bientôt se résoudre à revenir chez lui.
— Je voulais te parler de quelque chose, Pierre.
Curieux, l’adolescent cessa de manger et regarda son curé.
— Si tu es d’accord, j’aimerais ça te garder encore un peu ici.
La joie emplit le cœur de Pierre. Rien ne lui ferait plus
plaisir que d’étirer ce doux bonheur. Ici, il vivait dans un cocon. Il buvait
les paroles réconfortantes du curé. Sa décision de rentrer plus tard en religion
venait certainement de ces instants privilégiés.
— Comme je te disais, si tes parents le veulent aussi, j’aurais besoin de toi.
Tu sais que le 11 juin prochain, c’est le début des fêtes du centenaire du
Saguenay. Mon cher ami l’abbé Victor Tremblay, qui s’occupe de cette grande
fête, voit grand. Je ne sais plus trop où donner de la tête avec tous les
préparatifs. Avec les enfants qui ont marché au catéchisme, je n’ai pas vu le
temps passer.
Pierre écoutait attentivement.
— En tout cas, l’abbé vient me rendre visite ce matin. Quel homme dynamique,
passionné, il n’a jamais fini de m’impressionner ! Attends de voir, mon petit
Pierre, ce qu’il nous apporte. Tu ne devineras jamais !
Pierre continua de manger. Il prit une troisième rôtie et la couvrit d’une
épaisse couche de confiture. Il était habitué à ce que le curé lui parle ainsi
sans vraiment attendre de réponse. Le curé reprit :
— Un drapeau, rien de moins, un drapeau pour notre région ! C’est la première
fois que cela se fait.
— Moi, je serais ben content de rester encore, monsieur le curé, pis de voir un
drapeau.
— Bon, c’est réglé d’abord. Quand tu auras fini de déjeuner, tu iras à
l’église. Il faut aller à la cave jeter la vieille eau bénite. Elle traîne
depuis Pâques.
Pierre avala de travers. Il n’osa avouer au curé qu’il crevait de peur de
descendre sous la sacristie, là où étaient enterrés des prêtres.
— Un drapeau, un drapeau ! Qu’est-ce que tu penses de ça ? reprit le curé sans
se rendre compte du malaise de Pierre.
Assombri par la pensée de sa désagréable corvée, Pierre répondit
sans réel enthousiasme :
— J’ai ben hâte, ben, ben
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