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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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, à même la cruche, jusqu’à en être gris, des vins d’Andalousie achetés au prix fort à notre pourvoyeur.
    C’est dans ce creuset, peut-être au cours de ce mémorable festin, qu’ils élaborèrent un projet d’évasion, un mot qui, dans la communauté, suscitait autant de terreur que d’espoir et que l’on ne prononçait qu’à mi-voix.
     
    Évasion… Ce mot avait creusé un nid dans toutes les têtes. Nous en parlions par métaphores afin de ne pas lui enlever son aura et ne pas risquer de trahir par une maladresse ceux qui s’y préparaient. Le bruit courait en effet que dans des grottes des prisonniers allaient mettre leur projet à exécution.
    Pour moi, s’évader était un droit, pour Gille un devoir et pour Auguste un risque : il redoutait que des représailles fassent payer à tous la folie de quelques têtes brûlées.
    « Partez si vous en avez l’occasion, nous disait-il. Moi, je reste pour soigner notre compagne et mes malades de l’infirmerie. »
    Je ne lui cachais pas que j’agirais de même pour Édith.
    Moins attaché que nous à elle, Gille nous avait révélé qu’à la première occasion il prendrait la fuite, sans regret ni remords, quitte à souffrir de cette nouvelle séparation.
    Notre île était surveillée constamment, nuit et jour, par une et parfois deux canonnières et quelques canots, mais il arrivait que leur vigilance se relâchât. Il eût été facile, dès lors, de choisir le moment opportun pour prendre le large… Voire. Il eût fallu, pour toucher une côte hospitalière, faire un voyage de plusieurs jours dans une embarcation de fortune : l’Afrique se trouve à cinquante lieues de Cabrera et l’Espagne à soixante…
    Certains se donnaient ce qu’Auguste appelait des « ivresses d’évasion », comme on savoure une liqueur forte. Sans condamner leurs projets, il les réprouvait.
     
    Un soir où le déchargement des vivres se termina trop tard, Nicolas Palmer décida d’attendre le matin pour regagner ses entrepôts majorquins.
    Cet événement imprévu ne pouvait échapper aux marins de la Garde, toujours sur le qui-vive en plusieurs points de l’île.
    Alertés par un de leurs vigiles du port, ils tinrent un conseil de guerre dans leur village et décidèrent d’agir promptement, à la faveur de la nuit. Leur projet consistait à détacher les chaloupes amarrées dans le port, de gagner la canonnière ancrée au large et de s’en emparer en maîtrisant l’équipage. Se diriger ensuite vers Barcelone ne serait plus qu’un jeu…
    Je ne puis croire que cette idée simpliste eût pu naître dans l’esprit rassis de ces officiers et sous-officiers aguerris aux choses de la mer, tels le timonier Ducor et le fourrier Bonnet, initiateurs, je l’appris par la suite, de ce projet.
    Ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’était que les chaloupes sur lesquelles ils comptaient pour accéder au navire étaient occupées par le subrécargue et les débardeurs. Ils s’en rendirent compte assez tôt pour se retirer sous des coups de feu et se perdre dans la montagne.
    D’autres tentatives connurent un sort identique.
    Une canonnière de surveillance ayant pénétré dans la baie, des hommes avaient décidé de profiter de ce que les marins étaient à terre pour tenter un abordage, sans armes, cela va de soi. La tentative fut déjouée avant même d’avoir débuté.
    D’autres esprits aventureux pensèrent soudoyer des pêcheurs pour s’évader. Leur passage réglé en bons réaux, ils n’avaient pu que constater qu’on les avait floués et avaient eu tout loisir de réfléchir à leur naïveté tandis qu’on les conduisait à Majorque, où une nouvelle prison les attendait.
     
    Un soir, sur le ton de la confidence, Wagré me demanda si j’aurais plaisir à visiter son chantier naval. Je crus qu’il se moquait et le lui dis.
    — Suis-moi demain, me répondit-il, et tu verras par toi-même que je ne plaisante pas. Mais motus !
    J’acceptai son invitation. Par des chemins détournés, pour décourager les éventuels curieux, il me fit faire une interminable promenade à travers la montagne, jusqu’à une caverne désertée par les sauvages, au nord de l’île, au-dessus du cabo Moroboti.
    Mon ami Wagré ne m’avait pas raconté de sornettes. Une quinzaine de compagnons s’activaient autour d’une carcasse de barque péniblement remontée des récifs et

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