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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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qu’ils avaient entrepris, avec un outillage rudimentaire, de reconstituer. Ils avaient même commencé à amasser des vivres et de l’eau pour le voyage. Quatre marins de la Garde veillaient sur le chantier.
    — Beau travail ! fis-je à Wagré. Mais je crains que cet esquif, sans bitume pour calfater la coque, ne tienne pas longtemps à flot. À moins d’une encablure, pour peu que le mer soit forte, elle coulera, et vous avec.
    Il reconnut que j’avais mis le doigt sur le vrai problème.
    — Nous avons pallié cet inconvénient, me dit-il, au moyen de lichens pétris avec de l’argile…
    — Ça ne tiendra pas !
    — Nous verrons bien…
    Le matin du jour choisi pour l’évasion, j’aidai ces courageux marins à descendre leur barque, à l’aide de câbles et de poulies, jusqu’à la crique prévue pour le départ. Cette opération difficile et dangereuse nous prit des heures, avec le risque constant d’être surpris par une patrouille de surveillance ou de voir cette lourde barcasse nous échapper et se fracasser sur les rochers.
    En attendant la nuit, la barque fut dissimulée sous des branchages pour éviter d’être repérée. Le cœur serré, j’assistai à l’embarquement. La mer était libre et le soleil venait de se coucher quand Wagré fit larguer la voile latine carrée, faite de lambeaux de toiles de tente. Je remis à mon ami une lettre pour ma femme, sceptique quant à son acheminement. Nous nous embrassâmes et il monta à bord, dernier des dix hommes.
    À peine l’esquif eut-il passé les récifs et affronté les premières lames, les marins durent se mettre à écoper ferme. Il n’avait pas franchi un quart de lieue que je les vis avec angoisse virer de bord et, revenus à proximité de la côte, sauter à la mer en laissant la barque se coucher sur le flanc et sombrer.
    Par chance, cette évasion manquée n’avait pas eu de témoins et le secret en avait été gardé, si bien qu’il n’y eut pas de représailles.
     
    Je dois inscrire à ce tableau une autre tentative, qui eut lieu peu de temps après, au début de l’automne.
    Elle avait été imaginée par un véritable loup de mer, l’enseigne Cotillard, menée avec une telle célérité et entourée d’un tel secret que nous n’en eûmes vent qu’une semaine plus tard, lorsque le subrécargue de Palmer nous révéla que ces évadés avaient réussi à gagner la Catalogne.
    Avec une juste colère, j’appris que d’autres projets avaient été éventés et déjoués par délation. Que certains membres de notre communauté, avec lesquels nous avions traversé mille épreuves, puissent trahir leurs semblables me mettait la rage au cœur.
    Résultat de cet ignoble comportement : suspicion accrue des autorités, renforcement de leur vigilance et menace de restriction de nos subsistances. L’amirauté, la maison commune, le Palais-Royal, villages et cavernes, tous subirent des perquisitions par les soldats de la garnison, encouragés par la promesse de récompenses de la part du gouverneur, sorti pour un temps de sa torpeur. La Malmaison ne pouvait échapper à ces investigations : tous nos outils furent confisqués, sauf nos rasoirs et nos couteaux.
    Le sergent d’infanterie Robert Guillemard avait une conception particulière en matière de technique d’évasion.
    En apprenant ces échecs répétés, il haussait les épaules et souriait. L’essentiel selon lui pouvait se résumer en deux mots : observer et attendre (le  wait and see  des Anglais). Il avait réuni une petite équipe aussi discrète que lui, acquise à ses théories et à ses convictions, en permanence aux aguets. On les voyait se promener dans la montagne, s’asseoir sur des rochers, face au large, en suçant une herbe et en faisant mine de s’intéresser au vol des oiseaux de mer, mais en réalité soucieux des évolutions des vaisseaux de surveillance.
    Un soir, au cours d’une représentation au Théâtre de la Misère, Guillemard, qui tenait je ne sais quel rôle dans la pièce, fut surpris d’entendre un de ses complices, qui avait remplacé le souffleur, lui lancer, avec un large sourire :
    — Du nouveau !
    C’était l’expression convenue pour indiquer que l’occasion espérée de prendre le large était arrivée et qu’elle ne souffrait pas de retard. Guillemard sauta des répliques, fit passer tout un acte à la trappe et s’en fut

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