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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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situation des détenus, il avait soupiré – Wagré dixit :
    « Quand un oiseau en cage voit sa mangeoire vide et la porte ouverte, peut-on lui reprocher de s’enfuir ? Cependant, concevez qu’en vous gardant à mon bord je risque une sévère punition. Je ne puis pourtant vous jeter à la mer ! Alors, puisque vous êtes à mon bord, restez-y… »
    L’odyssée de mon ami Wagré n’allait pas s’arrêter là. Lorsque la canonnière, nantie d’une autre mission, cingla vers Cadix, il faussa compagnie au généreux capitaine anglais, sauta durant la nuit à la mer et, en bon nageur qu’il était, parvint à gagner la côte et à retrouver notre armée, qui n’avait toujours pas pris la ville.
     
    Nous souffrions de plus en plus du manque de nouvelles de nos proches, autant sinon plus que de ne pouvoir leur en adresser. J’aurais donné tout ce que je possédais pour recevoir un message de Juliette ; j’aurais accepté de souffrir de la faim et de la soif pour avoir la certitude que ma femme et notre petit Eugène étaient en bonne santé et exempts d’ennuis.
    Un matin d’octobre de l’année 1812, un brick anglais fit escale dans la baie dans l’intention de se procurer du bois pour la cuisine, ce service étant assuré par des esclaves noirs. Je restai un moment, assis sous un figuier, à les regarder embarquer leur provision, quand une idée me vint. Je rédigeai à la hâte un billet destiné à Juliette et, avisant un Noir occupé à bourrer sa pipe, je m’approchai de lui. Grâce aux quelques mots d’anglais que je connais et par des gestes, je lui demandai d’acheminer mon message :
    —  For my woman,  in  France, please …
    Il sourit, hocha la tête et glissa dans sa ceinture le billet et le réal qui l’accompagnait.
    —  Yes , dit-il,  I’ll  make it ,  certainly .
    Il me tendit sa main, que je serrai avec émotion. Ce message était une bouteille à la mer, mais je dus m’en contenter.
    L’esclave noir a tenu parole : j’ai retrouvé cette lettre dans les papiers de Juliette.
     
    D’où Sa Majesté Burguillos I er  tenait-il d’être maintenu à son poste, en dépit de son incurie ? Je n’en ai aucune idée. À une parentèle proche du gouvernement ? Au peu d’assiduité qu’il mettait dans ses récriminations auprès du gouvernement ? Les évasions répétées, humiliantes pour ces messieurs de la  Junta suprema , avaient attiré la foudre sur Burguillos, mais il en avait réchappé. On nous envoya un capitaine, del Rio, pour le suppléer et veiller au grain : ces gens, qui avaient fait la Révolution en France, pouvaient fort bien fomenter une révolte à Cabrera…
    À chaque nouvelle d’une évasion, manquée ou réussie, j’éprouvais le même sentiment complexe : le regret de n’avoir pas moi-même choisi de quitter cette île maudite, et l’angoisse à l’idée que ces tentatives pouvaient échouer. Partir, laisser mes deux seuls amis, Auguste et Édith, l’un attaché à son infirmerie, l’autre dont la santé déclinait de jour en jour, était pour moi inconcevable.
    Les journées étaient de plus en plus lourdes, pour moi comme pour le reste de la communauté, au point, je le confesse, que dans mes moments de dépression l’envie m’effleurait de sauter du haut d’une falaise, comme beaucoup d’autres l’avaient fait avant moi.
    Je ne sais d’où vint cette initiative, mais, lorsque j’appris qu’une exposition d’œuvres d’art allait avoir lieu, mon cœur bondit de joie, d’autant que le départ de quelques membres de la troupe, évadés ou déportés sur une autre île, avait affecté nos spectacles et abouti à leur abandon.
    Notre  capell á n  fut sûrement un des initiateurs de ce projet. Aux approches de Noël, en cette année 1812, il se procura par l’intermédiaire de son évêque du papier, du matériel de dessin et de peinture à la gouache et au pastel, et passa de cabane en cabane pour se mettre en quête de talents.
    Cette exposition connut un tel succès qu’elle resta en place durant un mois dans la maison commune et que des bourgeois et des négociants de Palma la visitèrent et emportèrent certaines œuvres en déboursant quelques réaux.
    J’y participai par trois tableaux de ma vie passée : Juliette en selle sur sa jument Noisette… La Vierge de Fournet… Une vue du château par temps de neige… Je

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