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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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quelques-uns…
    Avant d’embarquer, Auguste passa des heures éprouvantes à faire ses adieux à ses malades, dont certains étaient devenus ses amis, et à leur distribuer ses maigres biens en numéraire. Je me disais que l’altruisme dont il se prévalait aurait dû l’inciter à donner sa place à l’un de nos grands blessés, mais le sentiment se heurtait chez lui à un vieux fond d’égoïsme.
    Je devais apprendre plus tard, de retour en France, que les officiers libérés avaient subi des fouilles sévères qui les avaient privés de leurs couteaux, de leurs rasoirs et de leur maigre pécule. Quel que fût leur grade ou leur état de santé, ils avaient été jetés dans des cales où ils ne pouvaient se tenir qu’assis ou couchés. Si les Anglais se montrèrent indifférents, ce qui était le moindre mal, les Espagnols ne leur ménagèrent pas vexations et brutalités.
    Pour comble, la zizanie troublait les rapports entre les capitaines des deux nationalités, quant à la destination de la chiourme : Cadix ou Gibraltar ? C’est cette dernière qui fut choisie, avec, pour les prisonniers, la crainte d’être jetés sur les pontons de Portsmouth ou de Chatham.
     
    Dans une relation imprimée de cette odyssée, due à Gille, j’ai relevé cet alinéa, révélateur dans sa simplicité :
    Nous ne tardâmes pas à comprendre que nous avions changé de maîtres mais pas de fortune. Par une perfidie inouïe, nous étions prisonniers des Anglais, au mépris de la capitulation (de Baylen), signée entre les Français et les Espagnols à laquelle les Anglais n’avaient aucune part …
    Leurs craintes allaient se confirmer : c’est sur les pontons anglais qu’allait se terminer leur exode.
    Leur sort aurait pu être pire. Les quelques jours d’escale à Gibraltar les réconfortèrent. Les officiers étaient les hôtes du gouverneur, sir Campbell, qui les traita, dit Gille, « avec la plus grande honnêteté » ; ils dînaient à bord du brick l’ Espoir , sous des tentes aux couleurs anglaises et françaises (!), et, certains soirs, étaient les invités du gouverneur. Note d’un autre témoin, le capitaine Privé :
    Les repas chez Campbell étaient splendides… Un orchestre exécutait des musiques charmantes et des airs patriotiques français. En sortant de table, nous étions conduits sur une promenade agréable, où les plus jolies femmes de Gibraltar étalaient leurs parures et leurs grâces …
    C’était Capoue ! Les officiers anglais et français fraternisaient dans un commun mépris des Espagnols. Le capitaine Privé ajoutait :
    J’ai rencontré des officiers anglais auxquels les sentiments d’humanité n’étaient pas inconnus. Je tais leurs noms par prudence : leurs compatriotes ne leur auraient pas pardonné les bienfaits qu’ils nous témoignaient …
    Je pourrais en dire plus long encore sur l’amabilité des Anglais, une abondance de documents étant consacrés à cette odyssée, alors que les relations de ce qui se passa à Cabrera, après ce transfert, sont minces. Et pour cause : il ne restait dans cette île qu’environ deux mille prisonniers, pour la plupart illettrés. Une fois libérés, ils auraient d’autres soucis que de dicter les souvenirs de leurs misères.
    En évoquant les derniers temps de notre détention, le mot enfer allait revenir souvent sous ma plume, comme une récurrence dantesque. On dira que je rabâche, que j’ai l’esprit dérangé ou que je me laisse aller à des élans romanesques mal contrôlés.
    En quelques lignes, le lieutenant de vaisseau Gerdy, embarqué pour l’Angleterre avec nos officiers, donne, a posteriori, une image fidèle du départ de la flotte.
    Tous ceux qui en furent témoins garderont le souvenir des adieux et des gémissements des malheureux abandonnés à leur sort à Cabrera. Après notre départ, nous les apercevions encore à la longue-vue, perchés sur les rochers et tendant les bras vers nous …
    Je puis attester de ces scènes de désespoir, pour en avoir été acteur et témoin. Le départ de Gille et d’Auguste me laissait seul, avec une malade condamnée. La solitude qui s’abattit sur moi après que cette bourrasque m’eut arraché les plus chers de mes amis me jeta dans un désespoir d’autant plus profond que je répugnais à m’en ouvrir à ma compagne.
    Alors que les navires cherchaient le vent favorable, j’assistai à leur

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