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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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légère, alors que je savais Édith condamnée à brève échéance ? J’avais agi chrétiennement, ce dont le  capell á n  me félicita. Revenir sur ma décision eût été indigne du sentiment de l’honneur qui est l’un des fondements de mon caractère.
    Pour oublier cette confrontation intérieure, je passai une partie de cette nuit-là à boire du whisky et à fumer les cigares anglais mis à notre disposition, jusqu’à m’en étourdir. De temps à autre je me levais en vacillant et debout sur le seuil de la maison commune, dans la nuit douce et odorante de juillet, je laissais mon regard se perdre dans la baie où les navires signalaient leur présence par des pots à feu et des lanternes, et sur la masse informe des prisonniers couchés à même le sol, dans l’attente d’un miracle.
    Le matin venu, devant l’amirauté, le général Duval monta sur un bloc de rochers pour révéler les noms des privilégiés. À l’annonce que seuls les officiers et sous-officiers seraient libérés, il y eut dans la foule des prisonniers des murmures, puis des imprécations, et enfin des menaces qui obligèrent les soldats à s’interposer pour éviter une bataille rangée.
    Quand Auguste, m’ayant rejoint à la Malmaison, tremblant d’émotion et de honte, tenta de me prendre dans ses bras, je le repoussai.
    — Je comprends que tu m’en veuilles, me dit-il, mais, que veux-tu, la tentation était trop forte. Je t’envie d’avoir su lui résister, mais je regrette ta décision. Je crains que ce sacrifice ne soit inutile, et tu sais pourquoi.
    — Je considère comme un devoir de solidarité de rester. Cela ne changera rien, mais j’aurai satisfait ma conscience. C’est une bataille difficile, mais je ne regrette pas de l’avoir engagée.
    La voix d’Édith nous parvint de sa chambre :
    — Quand aurez-vous fini vos messes basses ? Laurent, dis-moi, nous allons partir bientôt ?
    Je vins m’asseoir sur le bord de son grabat et lui pris les mains.  
    — Je crains que non, ma chérie. Ton état ne te permettrait pas de supporter ce long voyage. Quand tu seras guérie, nous en reparlerons.
    Je faillis prendre Auguste à la gorge et le jeter dehors quand il révéla à Édith ce que je considérais comme un secret :
    — Ce que Laurent oublie de te dire, c’est qu’il était, comme moi, sur la liste des graciés, mais il a renoncé pour ne pas t’abandonner.
    Frappée de stupeur, elle bredouilla :
    — Est-ce vrai, Laurent ? Tu as… pour moi ? Tu sais bien, pourtant, que mes jours sont comptés. Je t’en sais gré, mais… c’est un sacrifice inutile. Si tu peux revenir sur ta décision, fais-le ! Je ne t’en voudrai pas. Il y aura bien une place pour moi à l’infirmerie…
    — C’est trop tard, ma chérie. Tu vas devoir subir ma présence jusqu’à notre retour en France, ce qui ne saurait tarder. Je t’accompagnerai et te rendrai à ta famille, à Moncheil.
    — Ma famille… Tu sais bien que je n’en ai plus. Si je survis avant que nous quittions Cabrera, je n’aurai d’autre espoir que les cellules des vénériennes, à l’hospice de Nontron. Tandis que toi, Laurent, tu es attendu par les tiens.
    Elle se vida contre ma poitrine de sanglots sans larmes.
     
    Je me heurtais à une énigme : pourquoi tant de navires pour rapatrier une centaine de prisonniers qui auraient pu tenir sur la seule frégate ? Dans l’intention de nous faire croire à une libération massive ? Je n’osais y croire : c’eût été une cruauté gratuite indigne d’officiers de marine.
    Sur le port, les récriminations allaient bon train :
    — L’Empereur a décidé de nous oublier, comme si nous l’avions trahi !
    — On ne nous respecte pas plus que des nègres !
    — Nous, caporaux et sans-grade, sommes-nous condamnés à crever là comme des chiens ?
    — Va-t-on rester là, jusqu’à ce que le dernier d’entre nous ait descendu la garde ?
    Il avait fallu l’autorité du général Duval pour éviter les passe-droits. Certains se disaient cuisiniers ou ordonnances, donc pas combattants, pour être admis sur la liste ; d’autres avaient tenté de monter à bord d’un navire pour se cacher dans les cales ; des désespérés se jetèrent à la mer pour prendre d’assaut une chaloupe, mais durent rétrograder sous une fusillade nourrie qui en tua

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