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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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Jaime Gazau, donne une image presque idyllique de cette période, la pire que nous ayons connue :
    Le départ des officiers eut une heureuse influence sur le bien-être de ceux qui restaient. Ils purent vivre dans les baraques et les tentes de campagne laissées libres. Tout devint plus facile, comme le prouve la lecture des actes de la junte, aucun événement notable ne s’étant produit au cours de cette longue période …
    Se référer aux actes de la junte pour juger de notre situation était un comble ! Espérer de ces « chats fourrés », confortablement assis dans leur fauteuil en cuir de Cordoue, devant une table, généreuse, qu’ils gémissent de remords sur notre condition eût été se bercer d’illusions. Vouloir faire passer le Ténare pour une agréable Thébaïde relevait d’un ignoble cynisme.
     
    Dans nos épreuves, nous eûmes une modeste consolation : Burguillos, devenu infirme et inefficace, avait été prié de préparer ses bagages. Il allait être remplacé par un commissaire espagnol affecté principalement à la distribution des vivres, ce qui lui laissait du temps libre pour se promener dans les villages et les cavernes.
    Don Balthazar Fernandez, lieutenant de cavalerie à la retraite, devenu un notable bedonnant et perruqué, était dans ce nouveau poste accompagné de son épouse, Luisa, fringante Majorquine à ombrelle et à éventail qui, assistant pour la première et la dernière fois à une distribution de vivres, avait gardé un mouchoir parfumé sous ses narines. Notre nouveau commissaire-gouverneur avait comme second un personnage à la mine patibulaire d’ancien forçat dénommé Diaz.
    Don Balthazar était une bonne pâte d’officier rompu aux rapports avec les hommes et les chevaux, mais inapte, faute de moyens et d’esprit d’initiative, à donner à une chiourme de près de trois mille hommes un semblant d’organisation.
    Peu après son installation, il m’avait remarqué et me considérait comme un homme de confiance capable de le seconder. Il me dit, lors de notre premier entretien, dans un français approximatif et entre deux prises de tabac maladroitement distribuées :
    — Je suis informé, mon ami, à la fois des raisons louables qui vous ont décidé à rester à Cabrera, et de vos compétences diverses et efficaces. C’est pourquoi…
    Je lui coupai la parole avec impertinence mais en ne lésinant pas sur la flagornerie :
    — Pardonnez-moi, Excellence, mais ma décision est strictement personnelle et ne peut intervenir dans nos rapports. Ce que nous attendons de vous, c’est que ces messieurs de Palma prennent enfin conscience d’une situation dramatique qui n’a pu vous échapper. Si elle se poursuivait, vous seriez complice d’un holocauste.
    Le mot le fit sursauter. Il se leva d’un air bougon, comme pour me donner congé. Je restai assis.
    —  Madre de Dios  ! s’exclama-t-il enfin. Je ne suis ni sourd ni aveugle, capitaine Puymège. Ce que j’ai vu et entendu me navre, mais tâchez de vous mettre à ma place et à celle des membres de la junte. La situation, à Majorque comme sur toutes les îles de l’archipel, est pire que vous ne l’imaginez. Les coffres sont vides et la disette sévit depuis des années. Même nos oliveraies ont pâti de la sécheresse. Alors, attendez-vous de moi que je fasse des miracles comme dans la Bible, ou que je démissionne ?
    Pris de court, je me rabattis sur la conduite de Diaz qui, en quelques jours, s’était rendu odieux à tous.
    — Que voulez-vous dire, capitaine ? Diaz est mon homme de confiance !
    Par des exemples précis, je lui révélai les exactions de son protégé, insistant sur les prélèvements qu’il opérait dans nos livraisons. Chose tout aussi répréhensible, il se comportait comme un maître d’esclaves dans une plantation de Saint-Domingue.
    —  Santa Madona , bougonna le bonhomme, je ne doute pas de votre témoignage. Sachez que ma compassion vous est acquise. Pour ce qui est de Diaz, je vais lui demander des comptes et sévir.
    Il retira d’une poche de sa veste un cigare long comme la lame d’une navaja et me le tendit. Sur le point de refuser ce que je considérais comme une tentative d’assujettissement, je cédai à la tentation.
    J’ignore si notre commissaire admonesta son second, mais, dans les jours qui suivirent, ce dernier mit un terme à ses

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