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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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départ du haut de ma terrasse. Je percevais, telles les lamentations d’un chœur antique, les plaintes des prisonniers debout sur les rochers et dans la broussaille, impuissants à s’arracher au spectacle de la flottille qu’estompait la dernière brume du matin.
    Nous avions tout à redouter de ce transfert qui, en nous privant d’une structure quasi militaire, risquait d’ouvrir la porte au désordre, à l’insubordination et à l’anarchie, sous le regard indifférent ou hostile de nos gardes-chiourme.
    Nos officiers partis, que restait-il pour faire respecter ne serait-ce qu’un semblant d’ordre ? Des officiers atteints de démence, un capitaine de dragons, Vial, souffrant de mégalomanie et qu’une attache sentimentale avait contraint à renoncer au départ.
     
    Un mois environ s’était écoulé quand nous eûmes à héberger un groupe de douze cents prisonniers capturés au cours de récents combats en Catalogne. Au lieu de les laisser disposer des cabanes et des tentes libres, on les cantonna dans des grottes, sur la côte orientale de l’île, au lieu dit Conejera. En attendant des secours en subsistances, nous dûmes puiser dans les réserves du magasin et partager avec eux nos rations.
    Refusant de séjourner dans une solitude hostile, des soldats du 121 e  de ligne exigèrent d’être hébergés dans les parages du port et prirent d’assaut une colline qui le dominait. Un groupe d’Allemands et de Suisses enrôlés dans les armées impériales firent de même ailleurs, sans que nul pût s’y opposer.
    Les Suisses avaient pour chef le lieutenant Pfister, originaire du canton de Saint-Gall. Son ordonnance, un marin français, Frémont, faisait office de factotum et principalement d’infirmier, son maître étant atteint du haut mal et sujet à des délires.
    Frémont, qui s’était pris de sympathie pour moi, me raconta que Pfister faisait de sa vie un calvaire.
    — Il me réveille fréquemment en pleine nuit pour me dicter, à l’intention de l’Empereur, le texte de pétitions que personne ne signe, ce qui le met hors de lui. Il exige d’avoir tous les matins son uniforme nettoyé et repassé, ses bottes cirées, ses gants passés à la forme. Si ses repas ne lui conviennent pas, il s’en prend à moi, m’insulte et me flagelle à coups de badine. Il lui arrive de réunir ce qu’il reste de sa compagnie pour des exercices sur la grève, des revues de détail, et la montée du drapeau que j’avais dissimulé sous ma capote lors des fouilles. Chaque jour, quel que soit le temps, il oblige ses hommes à se baigner…
    Frémont me révéla, en me demandant de garder le secret, que son maître avait l’intention de s’évader en prenant à l’abordage une canonnière. Je pris ce projet pour une aimable fantaisie émanant d’un esprit tourmenté. J’avais tort. Ce fou avait déjà bien avancé ses préparatifs.
    Le jour choisi pour son exploit, Pfister réunit dans une crique le reliquat de sa compagnie, soit une douzaine de pauvres bougres débilités par les privations, et, brandissant sa badine en guise d’épée, après une dernière exhortation, leur ordonna de se jeter à sa suite dans la mer pour nager vers le navire ancré à deux ou trois encablures du rivage. Ils furent accueillis par une fusillade nourrie ; certains, sachant à peine nager, moururent noyés ; d’autres, touchés par des balles, sombrèrent ; leur chef, atteint d’un projectile à la tête, fut ramené à terre, plus mort que vif.
    Depuis le départ des officiers les livraisons de denrées se faisaient de plus en plus fantaisistes, si je puis dire, notre pourvoyeur pouvant rester une semaine sans faire acte de présence. Une semaine à nous interroger sur l’éventualité de mourir de faim et de soif. Le magasin était vide depuis des semaines et rien n’indiquait que nous pussions jamais le regarnir. Parfois, des officiers de la marine anglaise, au courant de notre détresse, jetaient à la mer des paquets de biscuits sur lesquels les prisonniers les plus avides se ruaient en se battant.
    En une seule semaine, quatre cents hommes furent ensevelis dans une fosse commune de la Vallée des Morts. Parmi ceux qui se chargeaient de cette corvée, par une chaleur torride, certains tombaient raides dans les fosses qui semblaient ouvertes pour eux.
    La relation d’un chroniqueur majorquin, don

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