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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera
Autoren: Michel Peyramaure
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disparition d’Édith avait creusé ma solitude, Marguerite Daniel se sentait disposée à sauter le pas pour m’en extraire.
    La présence de son fils, André, ne nous gênait guère : s’il n’était pas idiot, son comportement y ressemblait fort. Il ne prononçait pas trois mots dans la journée, restait des heures à observer le vol des papillons et à les dessiner sur une plaque de schiste, avec une étonnante précision. Si nos absences duraient plus longtemps que prévu, nous le retrouvions en larmes. Sa mère disait qu’il était ainsi depuis la mort de son âne, mais cette simplicité d’esprit semblait congénitale.
    Peu à peu, grâce à la belle humeur et à l’énergie communicatives de ma compagne, j’avais retrouvé mon équilibre, aussi précaire fut-il. Pour résister à la dépression qui la menaçait de temps à autre, elle avait un répertoire de chansons de troupiers et de corps de garde, dont certaines fort lestes, qu’elle me fredonnait à l’oreille, mais ses préférences allaient à  La  Belle Vivandière  et au  Salut au 6 7 e , qu’elle tenait d’Auguste et de Gille.
     
    Le printemps de 1814 connut une telle sécheresse que les semis de légumes en souffrirent. Cela laissait prévoir de nouvelles privations et le renouveau des épidémies de scorbut. La perspective de passer encore des mois, peut-être des années, sur cette « île de la mort lente », comme l’écrirait Masson dans son récit, nous accablait.
    Un matin de la mi-mai, nous nous trouvions, Marguerite et moi, perchés sur une falaise, au-dessus du cabo Moroboti. Je somnolais sous un caroubier quand elle me secoua l’épaule.
    — Regarde… me dit-elle. Nous allons avoir de la visite. Deux goélettes ! Espagnoles, anglaises ? Je ne sais. Elles sont encore trop éloignées.
    Les mains en auvent sur mes sourcils, j’aperçus ces deux navires encore fondus dans une brume lumineuse. L’un semblait avoir pris la direction de Cabrera, l’autre celle de Gibraltar. Je suivis du regard la première et parvins à distinguer son pavillon : il n’était ni espagnol ni anglais, mais de couleur blanche, ce qui me fit songer qu’il pouvait s’agir d’un de ces navires algérois qui croisaient parfois dans nos eaux.
    Je fus plus surpris encore de le voir cingler vers la baie. Je dis à Marguerite :
    — Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici ? Descendons au port. Je crains que cette goélette ne nous apporte une mauvaise nouvelle.
    La foule avait déjà envahi les abords du débarcadère, jusqu’à l’estacade de madriers, l’ apostadero . Le mystère s’intensifia lorsque nous vîmes la goélette jeter l’ancre à une encablure du rivage, amener les voiles, mettre une chaloupe à la mer, et ses officiers et marins s’agiter avec des clameurs joyeuses en secouant chapeaux et bonnets.
    La voix française qui éclata dans un porte-voix nous donna des frissons :
    — Nous sommes français et nous venons vous libérer au nom du roi ! Vive la France !
    Sans Marguerite, à laquelle je m’accrochais, mes jambes auraient refusé de me soutenir. J’avais peine à comprendre pourquoi ce navire, le  Saint-Louis , n’arborait pas le pavillon tricolore plutôt que le blanc. L’impression de sortir d’un cauchemar qui soudain aurait pris les couleurs d’un rêve me submergeait.
    Je bredouillai :
    — Je n’ose y croire, Marguerite. C’est un leurre. Nous allons de nouveau être les dindons de la farce !
    — Innocent ! Tu vois bien que les officiers et l’équipage sont français et que le pavillon est celui du roi de France, puisqu’il porte la fleur de lys !
    Un enseigne, premier descendu de la chaloupe, nous dit :
    — Mes amis, rassurez-vous ! Nous vous apportons la nouvelle que vous attendiez tous : celle de votre libération. Nous allons vous ramener en France.
    Il nous apprit que la nation avait changé de régime, que les Bourbons étaient de nouveau sur le trône et que l’un de leurs premiers soucis avait été de voler à notre secours.
    Une question m’obsédait : Napoléon était-il mort, ou toujours en exil sur l’île d’Elbe, au large de l’Italie ? L’essentiel, me dis-je, était que notre captivité allait prendre fin. Rien d’autre ne comptait.
    Autour de moi, c’était l’exaltation. Les prisonniers dansaient sur place en faisant voler leurs
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