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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera
Autoren: Michel Peyramaure
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fétide, au jabot saupoudré de tabac, se comportait comme si on lui avait volé son épouse ou sa cassette.
    Dans les jours qui suivirent, mais un peu tard, la surveillance se resserra. La junte fit saisir le capitaine de la frégate, déjà inquiété pour le premier exploit de Masson ; il fut mis aux arrêts de rigueur dans une forteresse. La pêche aux poulpes, tolérée aux prisonniers, leur fut interdite, pour éviter les contacts avec les pêcheurs. Il nous fallut subir chaque jour les caprices du commissaire : éveil au clairon, rassemblement sur le port, appels interminables, certains prisonniers étant tombés malades durant la nuit, ce qui demandait vérification…
    Seuls les troglodytes, exclus, semblait-il, de notre communauté, furent laissés en paix, trop éloignés du centre et peu suspects de tentatives d’évasion.
    Je jouis quant à moi d’« attentions » particulières. Une sévère perquisition me priva de ce qui restait des cigares de Masson et me valut une semaine d’incarcération dans une cellule du  castillo , ce qui contribua à dégrader jusqu’à la limite de l’asthénie mon état physique et mental.
    Jamais je n’eus autant à regretter ma promesse d’être le dernier à quitter Cabrera, alors que je n’avais rien à attendre de ces miséreux. Ils ne pensaient à moi que pour des conseils et des services, et ne m’en savaient aucun gré, comme si je n’eusse été qu’un fonctionnaire patenté. Certains me suspectaient même de bénéficier d’un régime de faveur auprès de Fernandez, d’autres de faire à leurs dépens des réserves de nourriture !
    « À l’heure qu’il est, me disais-je, si tu avais cédé à la tentation, tu serais en train de te promener en compagnie de Masson, sur les quais de Marseille, ou peut-être à Puymège. Et voilà que, de par ta volonté propre, tu végètes dans ce trou à rats ! »
    Quelques jours après la fin de ma peine, le commissaire me convoqua au  castillo .
    Tout miel et tout sucre, il s’excusa pour la violence de sa réaction, admit qu’il avait eu tort de me suspecter de complicité avec ces  ladrones  qui avaient trahi, et me donna congé après une rasade de  moscato  de ses vignobles majorquins. Je m’interrogeai en vain sur les motifs de ce repentir insolite, l’essentiel étant que je fusse rentré dans ses bonnes grâces.
     
    L’expédition du sergent Masson avait eu sur nous une heureuse influence et une conséquence déplorable. Elle avait fait renaître l’espoir et réveillé les énergies, mais, les mois passant, nous avait fait sombrer plus profond dans le désespoir et le sentiment, partagé par la majorité, que les Bourbons ne nous accorderaient pas plus d’attention que l’Empereur, et que nous risquions de finir notre vie sur cette île.
    Je n’étais pas seul, chaque jour, à monter sur les falaises pour sonder l’immensité de la mer, dans l’espoir de voir surgir une flotte aux couleurs françaises, mais nous n’avions que le spectacle des navires anglais et espagnols qui se rendaient à Gibraltar ou en revenaient, et des barques des pêcheurs.
     
    Je partageais une solitude de plus en plus oppressante avec Marguerite Daniel, la Mère-au-Vent. La journée se déroulait tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, au gré de notre fantaisie, et, la nuit, chacun retournait à son grabat. Depuis que nous avions décidé de mettre en commun nos rations, je n’avais pas trop à me plaindre : ma compagne savait tirer parti du moindre rogaton et en faire, sinon un mets princier, du moins une nourriture consommable et parfois savoureuse.
    Pousser notre intimité jusqu’à partager mes nuits avec cette grande haridelle ne m’a jamais séduit, d’autant qu’elle avait l’habitude, comme beaucoup d’autres prisonniers, de fumer une mixture puante d’herbes sauvages qui lui gâtait l’haleine et lui jaunissait les dents.
    Nous avions pris l’habitude d’aller chaque matin, comme je le faisais avec Édith et mes compagnons, nous baigner dans la crique. Je prenais plaisir à observer la nage et les ébats de cette Vénus efflanquée dans sa cueillette d’algues comestibles et de mollusques, parfois sous la surveillance d’un soldat de la garnison. Ce spectacle aurait pu stimuler ma virilité, mais je me méfiais des complications que de telles relations auraient pu engendrer. Si la
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