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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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même.
    Le capitaine Méry nous révéla que nous avions manqué une belle occasion de nous évader et de faire voile vers Marseille. L’équipage et les soldats étaient dans un tel état d’affolement que nous aurions pu délester nos gardiens de leurs armes et changer de cap sans que les autres unités s’en aperçussent. Si l’opération n’avait pu se faire, c’est que nos propres marins étaient trop occupés à sauver la  Cornélie .
    — Pourtant, conclut-il, estimons-nous heureux. Le  Principe Real  a disparu, et l’ Enero  est réduit à l’état d’épave.
     
    Après avoir réparé à Gibraltar quelques avaries sans gravité, nous reprîmes notre route vers Málaga.
    Depuis l’occupation de cette ville par les Phéniciens et les Arabes, les auteurs anciens ont cru y voir une réplique du paradis terrestre niché au creux d’un gigantesque amphithéâtre de montagnes aux premières pentes couvertes d’oliveraies, de vignobles et d’agrumes dont l’odeur nous parvenait jusqu’à deux milles en mer.
    Cet Éden était habité par une population joviale et généreuse. Le chef de la junte locale fit porter à notre bord un présent royal : une barrique de vin accompagnée de quelques denrées, et accepta de nous laisser embarquer des futailles d’eau, celle du bord étant polluée.
    Quoi qu’il en soit, nous avions moins de chance que les prisonniers du  Baltimore , dont le capitaine anglais, Lynch, avait fait distribuer à ses malades un bouillon de viande quotidien et des tisanes. En revanche, nous avions, à bord de la  Cornélie , un officier américain, le capitaine George Comby, dont je n’ai pas oublié l’apparence : un colosse aux cheveux noués en catogan, au visage long et bistré. Il lui arrivait de se rebeller contre les mauvais traitements infligés par nos gardiens et il n’était pas rare qu’il nous fît porter de la nourriture en sus de nos misérables portions. Je le surpris un jour à dire à un groupe des nôtres : «  My God … Ces Espagnols sont des monstres. Maudits soient-ils ! Un jour, ils paieront pour leur cruauté… »
    Auguste Murel me raconta que cet officier avait recueilli trois orphelins dont les parents n’avaient pu survivre aux épreuves sur un ponton de Cadix, et les avait hébergés dans son domaine de Nouvelle-Angleterre.
    Nous n’eûmes qu’à nous réjouir de cette bienheureuse escale à Málaga. Des négociants juifs nous avaient fait livrer des produits frais et des agrumes précieux contre le scorbut dont souffraient certains d’entre nous. Cette escale aurait pu durer plus longtemps si nous n’avions été rejoints par le reste de la flotte, qui s’était attardé à Gibraltar. Nous avons repris notre route vers le nord en longeant les côtes montagneuses et mordorées de l’ancien royaume de Grenade.
     
    Le démon de l’évasion n’était pas notre spécificité. Alors que nous nous dirigions vers l’archipel des Baléares, les marins de la Garde du  Bombay  se rebellèrent, maîtrisèrent le capitaine et les soldats en profitant de leur sieste et prirent le commandement du navire. À la nuit tombée, ils quittèrent le convoi pour jouir d’une brève illusion de liberté. Deux jours plus tard, rejoints par les navires lancés à leurs trousses, ils durent, sous la menace des canons, poursuivre leur chemin reliés à une frégate par des haussières.
    À dater de ce jour et jusqu’à la fin du voyage, la discipline se fit plus stricte à bord de la  Cornélie . Lorsque nous montions pour une heure de détente sur le pont, des gardiens nous molestaient à coups de crosse et les matelots nous lacéraient avec des cordes en nous traitant de  perros de Franceses , alors que nous leur avions évité un naufrage.
    Lorsque le capitaine Vargas ordonna que fût jeté à la mer un protestataire véhément, le géomètre Louis-François Gille, nous le menaçâmes d’une rébellion, si bien qu’il dut renoncer à donner suite à sa décision. Cette petite victoire nous fit chaud au cœur.
    Un sergent des lanciers polonais, qui s’était battu à Baylen, n’eut pas la même chance. Dévoré par la soif, il s’était agenouillé pour réclamer de l’eau. Devant le refus méprisant du capitaine, il s’était écrié, avant de sauter dans la mer : « Tu en répondras devant Dieu ! », Vargas lança aussitôt aux témoins du

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